Recréation mondiale de la Semiramis de Destouches à Ambronay

Xl_dsc_0088_les_ombres_m_blanchard_s_sartre_semiramis_fest_amb_05102018___bertrand_pichene-ccr_ambronay © Bertrand Pichène

Le weekend dernier clôturait l’édition 2018 du festival d’Ambronay qui a affiché un taux de fréquentation près des 90% et plus de 17 500 billets vendus pour l’ensemble des 43 concerts et spectacles. Parmi ces derniers comptaient La Création à l’Auditorium de Lyon, mais aussi Songs, dont nous vous rendions compte la semaine dernière, dans deux des lieux partenaires de l’événement. La plupart des spectacles étaient toutefois donnés à Ambronay-même, comme la recréation mondiale de Semiramis d’André Cardinal Destouches donnée vendredi. Le compositeur n’était pas un total inconnu d’Ambronay puisque la label a notamment sorti l’enregistrement de ses Eléments en 2016 avec l'ensemble Les Surprises. Pour Semiramis, le festival a fait appel à un autre ensemble qu’il connaît bien, Les Ombres, dirigé par Margaux Blanchard et Sylvain Sartre.


João Fernandes, Judith van Wanroij et Les Ombres ; © Bertrand Pichène

Vendredi marquait donc la renaissance de cette œuvre dont les notes n’avaient pas résonner depuis 1718 alors que le compositeur est à l’origine d’une douzaine d’opéras parmi les plus grands succès de la scène lyrique du XVIIe siècle. Si le spectateur est loin d’être perdu dans un enchaînement d’actions et de passions, il faut bien admettre que le grand attrait de cette redécouverte reste la partition et tout le talent du compositeur qui s’y déverse. L’une des grandes innovations en est l’abandon de l’orchestre à cinq parties de cordes qui durait depuis Lully. En supprimant ainsi de l’orchestre la « quinte de violons », il instaure, de même que Campra, « un creux sonore inédit » entre les parties basses et les plus aigues. Les Ombres ont parfaitement su mettre en lumières cette musique injustement oubliée qui, heureusement, revient peu à peu sur les scènes grâce, notamment, à Ambronay et à des chefs qui n’ont pas peur de partir à la recherche d’œuvres que l’on n’entend plus depuis des siècles. L’équilibre entre les musiciens est excellent, les nuances sont riches et accompagnent au mieux les solistes.

Globalement, ces derniers ont su nous ravir ce soir, à une exception près, mais pas des moindre : le rôle-titre. Lors de sa création, celui-ci était tenu par Marie Antier qui était alors au sommet de sa gloire et de son talent, lui permettant d’exprimer toute la force dramatique de cette reine conquérante coupable d’inceste sans le savoir. Ce soir, c’est à Judith van Wanroij que revient de faire vivre cette héroïne. Elle qui ne nous avait pas particulièrement convaincu en Eurydice à Toulouse ne parvient pas non plus à nous convaincre pleinement en Semiramis. A nouveau, la projection est loin d’être à la hauteur de celles de ses camarades, la vigueur et le feu du personnage semblent être absents tandis que la prononciation est elle aussi en-deçà de ce que l’on espérait. Certes l’acoustique de l’abbaye n'est  pas d'une grande aide, mais elle n'empêche pas pour autant les autres solistes, eux, de se faire de se faire comprendre. On regrette d'autant plus le manque d’homogénéité de la distribution et le peu d’attrait qu'offre le rôle-titre ce soir-là.


Mathias Vidal, Les Ombres ; © Bertrand Pichène

Heureusement, l’Arsane de Mathias Vidal en est l’exact opposé : diction, projection, investissement dans le personnage, fougue, expression, énergie, tout y est, tant dans la souffrance de se croire éconduit par celle qu’il aime que dans la joie de découvrir la réciprocité de son amour ou bien dans la colère envers le peuple prêt à sacrifier Amestris au dernier acte ou encore dans l’horreur de découvrir la vérité et ce qu’il a fait dans la scène finale. Tout sonne juste et clair. Emmanuelle de Negri offre pour sa part une Amestris tout en retenue, dans la dignité et le retrait que demande la partition au personnage, mais ce n’est pas pour autant que sa voix manque à l’appel, offrant une amante digne de ce nom au jeune héros. Enfin, João Fernandes incarne Zoroastre et porte la tragédie sur ses épaules, puisque le vrai ressort de l’œuvre est finalement la vengeance de ce magicien, amant éconduit de Semiramis. Sa puissance ressort dans la musique, mais aussi dans l’interprétation solide de la basse dont on oubliera quelques vibrato peut-être un peu trop marqués dans sa première apparition.

Afin de compléter ce tableau, le Chœur du Concert Spirituel donne à entendre une belle prestation dans un lieu propice aux ensembles vocaux, apportant une dimension supplémentaire et maîtrisée. Les lumières de Nathalie Perrier participent elles aussi à la réussite générale et aide le spectateur à voir ou imaginer les différents décors du livret, comme par exemple lorsque nous retrouvons Semiramis dans ses jardins, ou encore l’atmosphère infernale et la fureur de Zoroastre une fois celui-ci éconduit.

Une belle redécouverte d’une œuvre injustement oubliée, bien que son livret ne soit pas le plus palpitant de l’opéra, servie par une belle distribution vocale même si le rôle-titre peine à réellement reprendre vie ainsi qu’un ensemble musical investi. Encore une expérience qui méritait d’être vécue au festival d’Ambronay dont la prochaine édition, intitulée « 40 ans, l’art du temps », se tiendra du 13 septembre au 6 octobre 2019 pour fêter ses 40 bougies ! D'ici là, cette recréation de Semiramis sera diffusée sur France Musique le 14 octobre prochain à 20h.

Elodie Martinez
(Ambronay, le 5 octobre 20181)

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