Roberto Devereux à Genève : une fin en apothéose

Xl_20240529_generale_roberto_devereux_gtg-c-dougados_magali_mg_0407 © Dougados Magali

Au Grand Théâtre de Genève, place au troisième et dernier volet de la trilogie Tudor de Gaetano Donizetti, avec Roberto Devereux, donné pour la première fois dans cette salle. Comme pour Anna Bolena en 2021, puis Maria Stuarda en 2022, nous retrouvons à la barre la metteuse en scène Mariame Clément qui vient conclure de façon relativement sobre et efficace cette palpitante trilogie.

Bien que nous n’ayons pas eu le plaisir d’assister aux deux premières œuvres, les décors de Julia Hansen servent la continuité et lient les trois productions avec ces parois lambrissées, la présence d’une forêt (sur scène ou projetée en fond de scène), le système de plateau coulissant derrière le panneau pour un changement de décor efficace. Des apparitions se succèdent sur scène également, entre la reine enfant, puis vieille et sans apparat royal. Egalement, la présence d’éléments modernes qui sont ici majoritaires. C’est même le costume d’époque d’Elisabeth qui est comme incongru face à tous les autres costumes qui, eux, sont modernes. L’homme qui représente – possiblement – son fils et qui apparaît comme roi lors de la scène finale est lui aussi en costume d’époque. Comme si, arrivée au terme de la trilogie, la royauté appartenait au passé. La direction d’acteurs est efficace et ne perd pas le spectateur inutilement. Citons aussi la scène du départ de Roberto en prologue de la soirée, avec la remise de la bague et l’échange de regard avec Sara, offrant un souvenir bienvenu autour de cet anneau si important. Très léger bémol cependant pour la présence des deux tableaux qui évoluent au cours de la soirée, s’animant parfois très lentement, pour exprimer – éventuellement – le ressenti intérieur d’Elisabeth. Leur emploi distrait, interroge plus qu’il n’éclaire, mais apporte une décoration bienvenue. Le seul point qui dénote finalement avec la réussite global est de montrer Edgardo et Sara consommer leur amour : non que cela soit fait de façon maladroite – au contraire, l’image est en elle-même réussie – mais cela va à l’encontre des multiples déclarations d’innocence de la part des deux héros concernés. Ils deviennent alors de terribles menteurs, et la sympathie que l’on pourrait – ou devrait – avoir à leur égard s’amenuise. Est-ce pour amener plus concrètement la question de la trahison que Mariame Clément fait ce choix ? Les notes du programme n’apportent pas non plus de réponse.


Stéphanie d'Oustrac (Sara) et Edgardo Rocha (Roberto Devereux), Roberto Devereux au Grand Théâtre de Genève © Dougados Magali

Côté distribution, c’est une avalanche de prises de rôle : l’ensemble des artistes – y compris pour les rôles en double distribution – interprète leur rôle respectif pour la première fois. Néanmoins, on retrouve les noms déjà présents lors des productions précédentes. Elsa Dreisig retrouve le costume d’Elizabeth porté dans Maria Stuarda, mais c’est ici une reine vieillissante que l’on ne peut que saluer. Absolument méconnaissable dans ce rôle, la soprano y entre avec un talent qui suscite l’admiration. Bien entendu, on peut toujours perfectionner quelques détails, mais être capable d’un tel résultat dès le premier essai est magistral. Quant au chant, on ne peut que s’incliner et saluer bien bas cette ligne de chant implacable et parfaitement maîtrisée. Face à elle, Edgardo Rocha ne démérite pas et campe un Roberto pleinement convaincant, dont le chant aux reflets d’ambre et d’azur fait miroiter le soleil éteint du personnage.


Elsa Dreisig (Elisabetta, Reine d’Angleterre)Roberto Devereux au Grand Théâtre de Genève © Dougados Magali

Stéphanie d’Oustrac incarne une Sara à la fois douce, serviable et discrète, mais aussi amoureuse, d’un amour qui va au-delà de la raison, passionnée et entière. Les élans de la voix suivent ceux de l’héroïne, montant solidement dans les aigus avec finesse pour redescendre dans les graves ronds et charnus au rythme des montagnes russes que connaît l’épouse du Duc de Nottingham. Ce dernier est interprété par Nicola Alaimo, dont la puissance du chant sert à merveille celle du duc. Fougueux, furieux, d’une fidélité à toute éprouve – à l’exception de celle de la trahison –, il sait aussi se montrer doux et investi. Il va jusqu’à se mettre à genoux devant la reine pour demander que son ami soit épargné avant de connaître la vérité. D’ailleurs, en rendant la tromperie réelle et concrète, on accepte et on comprend davantage le jugement et la colère du duc et de la reine. Peut-être est-ce là la finalité de cette scène d’amour entre Edgardo et Sara.


Stéphanie d'Oustrac (Sara) et Nicola Alaimo (Duc de Nottingham), Roberto Devereux au Grand Théâtre de Genève © Dougados Magali

Luca Bernard et William Meinert revêtent les costumes de Lord Cecil et Sir Gualtiero Raleigh avec talent, ne déméritant nullement malgré le haut niveau des autres interprètes en face d’eux. Ils parviennent à s’imposer et à véritablement exister à leurs côtés, ce qui n’est pas toujours évident. Les voix sont claires, habilement lancées et maîtrisées. Enfin, Ena Pongrac (un page) et Sebastià Peris (un membre de la famille Nottingham) viennent clore cette distribution qui ne souffre aucun reproche.

A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Stefano Montanari livre les couleurs miroitantes de la partition de Donizetti, laissant les cuivres sonner particulièrement lorsque la musique le permet, apportant ainsi une belle interprétation à l’ensemble. Chaque pupitre est mis en avant pour mettre lui-même en avant la musique, superbement servie par le chef d’orchestre et les musiciens. Le Chœur du Grand Théâtre de Genève (préparé par Mark Biggins) pourrait pour sa part gagner plus encore en homogénéité et surtout en unité, mais il offre une prestation tout à fait plaisante qui sert elle aussi la réussite globale de la production.

On salue donc cette belle production qui semble s’inscrire dans une lecture globale de la trilogie, et l’on regrette de ne pas avoir pu assister aux deux premiers volets dont les références semblent présentes (sans pour autant gêner la compréhension ni le plaisir de la production indépendamment des deux autres). Le public genevois pourra toutefois saisir cette chance puisque la trilogie complète sera proposée dans la deuxième moitié du mois, sous la forme de deux cycles proposant les trois œuvres.

Elodie Martinez
(Genève, le 31 mai)

Roberto Devereux au Grand Théâtre de Genève jusqu’au 23 juin

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