Ce lundi soir, la Salle Gaveau accueillait Marianne Crebassa entre deux représentations milanaises alors que vient de sortir son premier album chez Erato, Oh Boy! (regroupant les grands rôles de travestis du répertoire), et qu’elle triomphe sur chacune des scènes qu’elle foule, que ce soit dans L’Enfant et les sortilèges à la Scala, Dorabella dans Cosi fan tutte à Montpellier ou à Marseille, sans oublier son Cecilio dans Lucio Silla à La Scala qui a marqué les esprits ou encore Cherubino des Nozze di Figaro à Berlin (rôle qu’elle reprit depuis à de multiples reprises dans différents pays, et encore actuellement à La Scala) ou son Stéphano dans Roméo et Juliette à Chicago la saison dernière.
La jeune mezzo-soprano française séduit chaque oreille qui a la chance de l’entendre et son récital donné ce 21 novembre Salle Gaveau ne déroge pas à la règle, d’autant plus que le programme annoncé était mozartien, un registre que la cantatrice maîtrise tout particulièrement. Un vrai bonheur de la retrouver dans ce lieu où, un an auparavant presque jour pour jour, elle avait donné le Stabat Mater de Pergolèse en compagnie d’Ana Quintans et de l’ensemble Les Accents.
La soirée s’ouvre avec le chef et flûtiste Alexis Kossenko et son ensemble Les Ambassadeurs qui démarrent la soirée avec une Ouverture des Noces de Figaro parfaitement exécutée : l’équilibre entre les cordes et les vents est remarquable, de même que l’exécution des passages piano au fortissimo. Le dynamisme de la partition et sa bonne humeur sont alors immédiatement contagieux et c’est devant un public doublement ravi que se présente ensuite Marianne Crebassa en smocking et nœud papillon blanc pour interpréter ce Chérubin qu’elle connaît parfaitement à présent. Deux airs nous sont donnés à entendre, « Non so piu cosa son, cosa faccio » puis « Voi che sapete ». La cantatrice n’ayant nul besoin de pupitre, elle prend le temps d'observer le public et donne le sentiment d’adresser un regard à chacun, tout en exprimant une grande légèreté et un naturel déconcertant dans une haute maîtrise de la partition.
La violoniste Zefira Valova, dont la virtuosité rejoint régulièrement Les Ambassadeurs, n’était malheureusement pas présente ce soir. Nul concerto de violon donc, mais un de flûte, le chef prenant lui aussi souvent son instrument, montrant qu’il est au moins tout autant musicien instrumentiste que chef. Peut-être ce moment est-il le seul léger bémol de la soirée. Non pas qu’il ne soit pas réussi, mais l’enchaînement des trois mouvements du Concerto pour flûte n°2 en ré majeur plombe quelque peu l’ambiance et la salle chauffée par Les Noces de Figaro se refroidit.
Il faudra donc un petit temps pour parvenir à se remettre pleinement dans l’air « Pupille amate » extrait de Lucio Silla à la suite duquel Marianne Crebassa sort, puis rentre à nouveau en croisant le chef qui quitte la scène. La cantatrice fait alors les cents pas sur les planches, lâchant un connivent « Quelque chose se trame » vers le public. Alexis Kossenko revient alors, une fois la soliste des vents en place, et le public se trouve récompensé par un « Parto, parto » tiré de La Clemenza di Tito absolument sublime dans lequel la mezzo-soprano fait entendre des trilles remarquables.
La seconde partie du récital reprend par un autre air de Lucio Silla, « Quest’improvviso » toujours aussi réussi. Vient alors une surprise dans ce programme mozartien avec deux extraits d’Orphée et Eurydice de Gluck : tout d’abord le Ballet des ombres heureuses dont la lenteur du tempo est peut-être ici un peu trop marquée lorsque l’on a en tête d’autres directions contemporaines, comme par exemple celle de Hervé Niquet au Théâtre de la Monnaie. Le résultat n’en reste pas moins très beau et fidèle à la partition. Vient ensuite non pas « J’ai perdu mon Eurydice », comme l'on pourrait s’y attendre, mais « Amour, viens rendre à mon âme » parfaitement exécuté, notamment dans les passages voyageant du grave à l’aigu et inversement. Cette pause a capella censée laisser l’interprète faire montre de tout son talent trouve ce soir toute sa place. Le public ne s’y trompe pas et ovationne Marianne Crebassa comme on le ferait à la fin d’un récital et l’on se demande s’il n’y a pas là un indice sur l’un des prochains rôles en perspective de la chanteuse, d'autant que le titre est également présent dans son album.
La soirée ne s'achève pas là, puisqu’il reste à écouter l’Ouverture de Don Giovanni, absolument superbe, avant de se clore par « Il tenero momento » de Lucio Silla, tout simplement magistral. Le public totalement conquis demande un bis, puis deux, puis trois ; ainsi s’enchainent l’air d’Eros de Psyché qui, en appelant le sommeil, terminait bien ce récital, puis de nouveau « Amour, viens rendre à mon âme » et enfin « Voi che sapete ».
Marianne Crebassa a donc su une nouvelle fois enchanter le public dans ce récital soutenu par les brillants Ambassadeurs et leur chef Alexis Kossenko, généreuse dans ses interprétations comme dans ces regards, le temps accordés au public sur scène (2h30 environ avec les rappels) mais également hors scène puisqu’elle s’est prêtée au jeu des dédicaces avec un grand sourire et une gentillesse des plus sincères. Un véritable régal que ce récital.
Elodie Martinez
23 novembre 2016 | Imprimer
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