Ce vendredi, l’édition 2021 du Festival Radio France Occitanie Montpellier prenait fin après de nombreux rendez-vous marqués par la jeunesse des artistes, ainsi que le rappelait le discours d’introduction de l'événement. Un véritable bouquet final pour lequel le festival avait fait appel à une « amie », Sonya Yoncheva, venue en famille puisque son compagnon à la ville, le chef Domingo Hindoyan, dirigeait l’Orchestre National Montpellier Occitanie devant un public ravi, qui comptait dans ses rangs un invité bien spécial : le jeune fils du couple qui a rejoint ses parents à la fin des saluts. Le tout dans un programme à la thématique fort à propos en ces temps troublés : l’amour, que cela soit en italien, en espagnol, en tchèque ou en français.
S’il y a des artistes dont la ferveur de l’engouement demeure parfois mystérieux lorsqu’on les découvre sur scène, il en ait d’autres qu’il suffit de voir une fois pour comprendre immédiatement pourquoi ils sont tant acclamés et réclamés. C’est le cas de Sonya Yoncheva, dont l’implication, le talent et la générosité sont évidents à la première note.
Dans cette soirée consacrée à l’amour, la première partie est davantage marquée par des héroïnes aux amours malheureuses, à commencer par Madama Butterfly et Luisa Miller. C’est par l’ouverture de cette dernière œuvre que débute la soirée, laissant entendre les forces musicales déployées par la phalange montpellieraine en pleine forme, et galvanisée par la direction joviale et concentrée de Domingo Hindoyan. Une ouverture en fanfare, mais quelle fanfare ! Symphonique, homogène et puissante, dispersée sur l’ensemble de la scène mais unie dans la musique. La soprano bulgare entre ensuite en scène, arborant un grand sourire et dégageant une sympathie et une belle énergie, toute en accessibilité. Elle salue, puis, en un claquement de doigt, son visage s’assombrit, le sérieux l’habite et elle devient le personnage qu’elle interprète, sans avoir besoin de la moindre mise en scène. Elle enchaîne ainsi « Tu puniscimi o Signore » et « A Brani, a brani, o perfido », toujours du même opéra, faisant chatoyer des mediums de velours qui enrobent l’écoute. La ligne de chant est maîtrisée tout en souplesse et en nuances, laissant poindre des élans durant la soirée sans jamais perdre un instant l’attention captivée du public. Elle change alors de registre pour livrer un ensorcelant « Mesícku na nebi hlulokém » (Rusalka), tout en grâce et volupté.
L’orchestre poursuit sur cette douce lancée avec l’Intermezzo extrait de Cavalleria rusticana, pour nous emmener dans une promenade paisible, faite d’émerveillements et de découvertes de lieux enchanteurs. Sonya Yoncheva revient ensuite pour l’Ave Maria de la même œuvre dans un enchaînement sans faille. Le rythme finit par s’accélérer avec Le Tregende extrait du Villi de Puccini, et « Se come voi piccina », air pour lequel elle revient sur scène avec une fleur qu’elle effeuille pour en jeter les pétales à son mari. L’acmé de cette première partie dédiée à l’amour malheureux demeure toutefois certainement « Un bel dì, vedremo » (Madama Butterfly), avec une Cio-Cio San bouleversante, d’une vibrante incarnation, des pieds à la tête en passant bien sûr par le cœur. Et c’est naturellement qu’un tonnerre d’applaudissements accompagne ici la chanteuse quand elle ressort de scène avec Domingo Hindoyan.
Bien que sans entracte, la deuxième partie se distingue de la première sans difficulté : après les amours malheurses, place à l’amour heureux et à l’amour retrouvé, avec la chaleur latine de Conga del fuego (d’Arturo Márquez). On voit d’ailleurs dans la salle bien des têtes dodeliner à l’unisson de ce rythme ensoleillé qui fait danser les cœurs. Quant au chant, la soprano fait une belle surprise au public en mettant à l’honneur la langue de Molière avec « L’amour en héritage ». Aidée ici du pupitre, c’est à l'évidence un cadeau que fait Sonya Yoncheva à la salle montpellieraine avec ce registre plus inattendu que les airs lyriques et dans lequel elle paraît légèrement moins naturelle, alors qu’elle n’a en réalité pas à rougir des prestations qu’elle propose : elle apporte une véritable plus-value à ces chansons de la variété française. Encore une belle manière de montrer que l’art lyrique ne se cloisonne pas au seul répertoire classique, bien au contraire. Le public apprécie manifestement cette attention, qui se poursuit avec « C’est la saison d’amour » (Yvonne Printemps), précédé toutefois par « No me mires » (Lolita Torres), l’amour heureux s’exprimant donc finalement entre le français et l'espagnol…
C’est ainsi que la soirée touche à sa fin alors qu'on n'avait le sentiment qu'elle débutait à peine. Le public, totalement séduit, applaudit le couple avec joie et obtient deux bis, à nouveau deux véritables cadeaux pour une salle française. Tout d’abord, la Habanera de Carmen, interprétée, on s’en doute, avec un jeu de connivence entre le chef et la cantatrice qui n’hésite pas à montrer son mari lorsqu’elle chante « il n’a rien dit mais il me plaît », avant de l’embrasser à la fin de l’air. Ensuite, c’est au tour d’Edith Piaf d’être mise à l’honneur avec l’Hymne à l’amour, dans une ultime interprétation qui rappelle celle offerte lors du Concert de Paris de 2020 où elle avait déjà proposer cette chanson mythique au public. Une belle déclaration qui touche toujours autant et dont la magie ne s’étiole pas un instant au fil des ans.
Totalement séduit, conquis, et reconnaissant, le public montre à son tour son amour pour la soprano en lui réservant de tonitruants applaudissements et une standing ovation. Après avoir longuement remercier la salle, Sonya Yoncheva appelle son enfant à la rejoindre sur scène avant d'atteindre les coulisses. Mais le public ne s’arrête pas pour autant, et face à son engouement, le couple revient finalement sur scène pour reprendre, après quelques mots en français, l’air de Madama Butterfly, toujours superbe et d’une belle émotion. C’est donc naturellement que le public se lève une nouvelle fois pour remercier les artistes de leur générosité et pour un récital de fin de festival qui, par cette carte blanche, prend des allures de bouquet final mais aussi une pochette surprise que l’on s’est délecté de découvrir tout au long d’une soirée formidable et inoubliable.
Plus qu’un récital, on reconnaît là l’apanage des grands artistes qui, par leur générosité, leur humanité et leur talent, offrent un véritable moment de communion, ici autour d’un sentiment positif dont on manque parfois cruellement, et plus encore aujourd’hui : l’amour !
Elodie Martinez
(à Montpellier, le 30 juillet)
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