En cette fin d’année et parallèlement au Roi Carotte qu’il donne dans sa salle, l’Opéra de Lyon propose un partenariat avec le Théâtre de la Renaissance (où la production a déjà été donnée) et le Théâtre de la Croix-Rousse pour une nouvelle production de The Pajama Game. Une très belle initiative qui renoue avec l’étroit lien qui unit l'opéra et la comédie musicale, le premier étant finalement l’aïeul de la seconde.
Basée sur le roman de 1953 7½ Cents de Richard Bissell, The Pajama Game raconte l’histoire d’une lutte sociale pour l’obtention d’une augmentation dans une usine de pyjama sur laquelle se greffe une histoire d’amour au demeurant impossible entre la porte-parole du syndicat (ou « comité social et économique »), Babe, et le nouveau directeur, Sid. Viennent s’ajouter à cette trame principale la vie de l’usine et quelques histoires de couples secondaires pour former un divertissement savoureux sur une musique et des chansons de Richard Adler et Jerry Ross, ici arrangées par Gérard Lecointe (également aux percussions et à la direction).
The Pajama Game, Opéra de Lyon/Théâtre de la Croix-Rousse ; © Cavalca
The Pajama Game, Opéra de Lyon/Théâtre de la Croix-Rousse ; © Cavalca
Toutefois, comme toujours, le travail de mise en scène reste crucial. Les différentes maisons en coproduction ici ont eu la très bonne idée de faire appel au chorégraphe Raphaël Cottin et au metteur en scène Jean Lacornerie, bien connu des Lyonnais pour son travail ingénieux (on se souvient encore de son poétique Borg et Théa de 2017). Une fois encore, la mise en scène ne déçoit pas et propose de simplifier les changements de décors et de costumes pour réduire le tout dans un décor fixe suggérant parfaitement l’usine, auquel s’adjoint un mur descendant des cintres afin de figurer tour à tour les bureaux de l’usine ou l’appartement de Sid. On soulignera également le beau travail pour le duo de Sid avec lui-même, en ombre chinoise, d’abord parfaitement synchrones, puis face à face, se répondant. Les deux cents machines sont ici représentées par trois machines à coudre, tandis que des convoyeurs de vêtements, des portants et des chariots complètent le tout afin de jouer avec différents espaces en mouvements et planter un décor parfaitement lisible. Les costumes sont bien des bleus d’usine, à ceci près que les seuls à être réellement bleus sont ceux des trois musiciens permanents (placés en arrière-scène, qui fait aussi figure de salle de pause et qui s’avancera plus tard), ainsi que de Charlie le mécanicien. Les autres personnages portent du vert, de l’orange, du rose, du jaune, du violet... agrémentés, pour les femmes, par des perruques à la mode des coiffures des années 50 auxquelles s’ajoutent parfois des bandanas colorés qui font ainsi penser à la fameuse image de Rosie la riveteuse. Le poing levé est d’ailleurs repris dans cette idée de lutte à laquelle le public est appelé à participer, brassard rouge au bras ! Pour les moments plus légers, les tenues de travails deviennent transparentes, tandis que la lumière noire pimente le passage chez Hernando… Bref, une fois encore, Jean Lacornerie parvient à faire beaucoup avec peu et nous embarque dans cette co-mise en scène avec Raphaël Cottin et ses superbes chorégraphies entraînantes dans l’univers d’une comédie musicale américaine, les dialogues étant en français tandis que les paroles des chansons ont été conservées en anglais, la sonorité de la langue s’adaptant davantage au style de la musique.
Dalia Constantin (Babe) et Vincent Heden (Sid); © Cavalca
Amélie Munier (Gladys), Chloé Horry (Mabel) et Marie Glorieux (Poopsie) ;
© Cavalca
Côté distribution, on se réjouit de voir que la France possède de tels talents, au moins à l’égal des Etats-Unis ! Non seulement les artistes sur scène jouent, dansent et chantent à merveille, mais ils sont également en charge de la partie instrumentale de la soirée ! Ainsi, aux trois musiciens (dont Gérard Lecointe déjà cité) qui servent de ligne de base, viennent s’adjoindre l’ensemble des personnages, chacun avec son instrument : saxophone, violon, flûte, accordéon, clarinette, alto, trompette ou violoncelle ! Les voix magistrales mériteraient que l’on s’attarde sur chacune d’elle, bien que les deux amoureux sortent forcément du lot au regard du nombre plus important de chansons qu’ils leur sont attribuées. Vincent Heden offre une voix de charmeur crooneur à Sid, une belle tenue et un « Hey There » qui trotte dans la tête pour notre plus grand plaisir, aux côtés de Dalia Constantin en Babe à la voix charnue et à la belle gouaille parfaite pour son personnage, offrant notamment un « I’m not at all in love » mémorable. Marie Glorieux est une Poopsie séduisante qui forme un beau trio avec la Mabel de Chloé Horry et la Gladys d’Amélie Munier, séduisantes à souhait dans leur numéro de charme jazzy. Marianne Devos vient se mêler à ce groupe avec grand art elle aussi, en Brenda, tandis que les hommes que sont le Charlie de Pierre Lecomte, le Prez, mari volage caricatural du commercial, et le Hines de Zacharie Saal, impayable contremaître qui réussit l’exercice du comique en mari jaloux et petit chef sympathique.
Chapeau bas également à l’arrangement de Gérard Lecointe et à l’ensemble des artistes qui forment un orchestre à effectif variable, mais toujours dans un très bel ensemble, une harmonie joyeuse communicative, quel que soit le registre abordé, jazzy, tango, ou plus variété... Une vraie leçon qui nous apprend que, plutôt que de lorgner vers l'Amérique, nous pouvons simplement mettre le nez dehors à la recherche de ces talents formidables que nous avons aussi ici.
Voilà indéniablement un spectacle qui impressionne par le talent des artistes et qui fait avant tout passer un très bon moment soupoudré de la magie de broadway. On ne peut que prédire encore de très belles soirées pour les futurs spectateurs, lyonnais mais aussi d’ailleurs qui auront la chance d’assister à ce Pajama Game au cours de sa tournée qui devrait notamment l’amener à Angers, Nantes, Rennes, Mâcon, Saint-Etienne, etc. En d'autres termes, où que vous soyez, n'hésitez pas un instant et courez-y!
Elodie Martinez
(Théâtre de la Croix-Rousse, Lyon, le 18 décembre)
The Pajama Game au Théâtre de la Renaissance, au Théâtre de la Croix-Rousse puis en tournée (en passant par Angers-Nantes Opéra).
21 décembre 2019 | Imprimer
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