En coproduction avec le Théâtre royal de La Monnaie, l’Opéra de Montpellier propose jusqu’à dimanche la Tosca imaginée par Rafael R. Villalobos, dont notre collègue rendait compte au moment de la création bruxelloise. Une production qui ne laisse pas de marbre et qui suscite un sentiment partagé, entre beauté du chant et interrogations sur la scénographie. Celle-ci n’a d’ailleurs pas du tout convaincu une partie du public qui n’a pas hésité à huer le spectacle, voire à se permettre des interpellations ou réflexions à haute voix en pleine représentation.
Tosca, Opéra-Orchestre National de Montpellier (2022) ; © Marc Ginot
Tosca, Opéra-Orchestre National de Montpellier (2022) ; © Marc Ginot
Ainsi que l’avait déjà mentionné Thibault Vicq, Rafael R. Villalobos s’inspire ici de Pasolini et de Salò ou les 120 Journées de Sodome. Selon le metteur en scène, ce « génie au talent incommensurable » fut « persécuté par les mêmes structures du pouvoir déjà percées à jour dans le drame de Sardou ». Nous ne reviendrons pas en détails sur la scénographie, la beauté du décors romain tournant d’Emmanuel Sinisi ou les lumières de Felipe Ramos, mais sommes davantage mitigée sur la réussite globale du résultat. La beauté esthétique est bien présente, et source de réjouissance, notamment avec ce décors qui permet un jeu de mouvement sur scène sans pour autant parasiter le regard du public. De même lorsque Tosca apparaît dans cette grande ouverture puissamment éclairée, portant ce costume ecclésiastique. Ou encore ce superbe finale, lorsque le suicide est finalement symboliser par une entrée dans cette même lumière aveuglante. Autant de tableaux et de visions qui viennent ponctuer la soirée et ravir l'oeil. Heureusement d’ailleurs que cette beauté est présente pour contrebalancer certains éléments qui trouvent parfois difficilement leur place dans l’œuvre : les hommes nus, sans autre rôle que des éléments de décors dans l’antre de Scarpia, ou ce jeune enfant affublé d’un masque SM par exemple. On comprend aisément que pour Scarpia, l’humain a valeur d’un chien que l’on peut opprimer, ou d’un vase, ou encore que la référence à l’œuvre de Pasolini est explicite – uniquement pour celles et ceux qui ont connaissance de ce film – mais cela apporte-t-il réellement quelque chose à Tosca ? La question se pose également pour la greffe de cette histoire parallèle de la vie de Pasolini, au point de raconter l’histoire à la fois en dehors de l’œuvre de Puccini, avec cet épisode de la rencontre entre Pino Pelosi et lui en guise d’entracte. Preuve que la greffe avec le cinéaste ne prend pas totalement avec l’histoire, malgré l’intégration de Pasolini lui-même sur scène (Grégory Cartelier), en personnage muet lors de plusieurs passages. Au final, plutôt que de s’intégrer à l’émotion de la Tosca de Puccini pour mieux la faire grandir, ce parallèle – dont le travail n’est pas non plus complètement inintéressante ni hors-sujet – paraît la parasiter. On ressort donc mitigé sur l’efficacité de la lecture proposée par Rafael R. Villalobos, mais pas sur son originalité ni sur le talent du metteur en scène pour proposer une vision personnelle argumentée et esthétique.
Tosca, Opéra-Orchestre National de Montpellier (2022) ; © Marc Ginot
Tosca, Opéra-Orchestre National de Montpellier (2022) ; © Marc Ginot
Autre beauté au rendez-vous, celle des voix réunies ici, à commencer par Ewa Vesin dans le rôle-titre. La soprano offre au public une technique irréprochable, une projection fulgurante, une ligne de chant qui se maintient de bout en bout sans aucune platitude. Toutefois, malgré les belles nuances de la palette vocale impressionnante de la soprano, il manque parfois ici l’émotion que l’on attend d’une Tosca, notamment pour le « Vissi d’arte » absolument superbe – et d’ailleurs applaudi par le public – exécuté à la perfection, mais qui ne vient pas fendre le cœur (peut-être est-ce toutefois simplement dû à la mise en scène). Face à elle, le Mario Cavaradossi d’Amadi Lagha est fulgurent. A l’impressionnante puissance du timbre déjà relevée dans nos colonnes passées s’ajoute une couleur miroitante dans la voix, capable également de nuances et de souffle plus retenu. Face à ces deux formidables interprètes, le Scarpia de Marco Caria pèche justement en puissance. Le personnage s’impose néanmoins scéniquement grâce au jeu de l’interprète, qui s’impose comme un dominateur SM, manipulateur et conscient de sa position de puissance. Une position qui l’amène justement à son goût du sado-masochisme. Grande surprise de la soirée, le Spoletta de Yoann Le Lan (déjà entendu sur cette scène à plusieurs reprises, comme dans Poil de Carotte ou Werther) lui volerait presque la vedette ! Si habituellement, ce rôle reste secondaire y compris dans les esprits, ce n’est pas le cas ici. La projection et la voix lumineuse, ainsi que l’interprétation travaillée qu’en fait le ténor, offrent une dimension nouvelle à ce personnage.
L’Angelotti de Daniel Grice s’avère de bonne composition et engagé, comme les autres comprimari, à savoir le Sciarrone de Simon Shibambu, le sacristain de Matteo Loi, le geôlier de Xin Wang et le berger de Léopold Gilloots-Laforge.
Sous la baguette de Michael Schønwandt, l’Orchestre national Montpellier Occitanie brille de mille éclats, faisant virevolter les nuances de la partition au gré de la direction du chef, qui joue avec les couleurs, la lumière et le côté plus obscur de l’œuvre de Puccini, son langage interne, parfois parallèle et complémentaire au chant. Chaque recoin est maîtrisé et éclairé pour mieux ressortir et se faire entendre. La puissance des instruments n’est peut-être pas toujours une grande aide pour les voix qui doivent parvenir à passer au-dessus, mais le plaisir musical est entier. Quant aux Chœurs de la maison (chœur de l’Opéra et chœur Opéra Junior, dirigés par Noëlle Gény et Guilhem Rosa), ils offrent de très belles interventions depuis les côtés de la salles.
Au final, l’Opéra de Montpellier a le courage et l’intelligence d’oser proposer une Tosca hors des sentiers battus, aux tableaux superbes et à la relecture originale. Quant à la pertinence de cette proposition – qui demeure parfaitement lisible, même sans certaines connaissances de l’œuvre de Pasolini – elle est selon les goûts de chacun, même si elle semble atteindre les limites d’une partie du public. Toutefois, une maison lyrique nationale n’a-t-elle par aussi pour mission d’atteindre des limites pour mieux les dépasser ?
Elodie Martinez
(Montpellier, le 11 mai)
12 mai 2022 | Imprimer
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