Un Macbeth plutôt chouette à l’Opéra de Lyon

Xl_operamacbeth50_copyrightstofleth © Stofleth

Outre Attila et Don Carlos, l’Opéra de Lyon donne également Macbeth pour son festival annuel dédié cette saison à Verdi. Pour cette œuvre, la maison lyonnaise a décidé de reprendre la mise en scène d’Ivo van Hove donnée en 2012. Le succès est au rendez-vous puisque la billetterie en ligne affiche déjà complet ou presque pour les dates restantes.


Macbeth, Opéra de Lyon ; © Stofleth  

Macbeth, Opéra de Lyon ; © Stofleth

Il faut dire que dès 2012, beaucoup d’encre avait pourtant déjà coulé concernant la vision du metteur en scène. Il s'interroge en effet sur la notion de pouvoir aujourd'hui, et en conclut qu'il ne relève plus désormais de la politique, mais de la finance. L’argent gouverne le monde. Dès lors, son travail apparait des plus cohérents puisque nous nous retrouvons dans ce qui semble être une salle des ventes : des écrans d’ordinateurs présents le long des trois murs affichent des courbes financières, la bourse, mais aussi des suites de chiffres en vert rappelant le monde virtuel de Matrix lorsque le chœur de banquières / traders se transforme en sorcières. Ces chiffres prendront par ailleurs vie lorsqu'ils représenteront les esprits venus parler à Macbeth. Les écrans afficheront aussi des dessins animés lorsque apparaîtra une jeune fille (dont l’identité n’est pas clairement définie, se mêlant entre fille de Macbeth et fils du roi), ou encore des formes de chats et autres animaux. Toutefois, les écrans les plus impressionnants restent ceux qui servent de murs et occupent plus de la moitié de la hauteur de la scène. Ils permettent de diffuser en négatif les meurtres en coulisses du Roi et de Banco (qui a lieu dans le parking). Certes, cette transposition inspirée du film Margin Call de Chandor laisse place à quelques détails imparfaits et des interrogations nées d’un manque de lisibilité de certains éléments –comme cette bougie placée devant la scène, cette femme de ménage presque omniprésente, cette fillette déjà évoquée, ou encore un décalage entre le livret et ce que l'on voit... Toutefois, la métamorphose de la forêt de Birnam en représentants du mouvement Occupy Wall Street est elle aussi fort ingénieuse. N’oublions pas également l’utilisation particulièrement maîtrisée de la vidéo captée en direct, comme pour l’air de Macduff. Enfin, l’image probablement la plus marquante (nous nous en souvenions encore après avoir vu la production de 2012) est cette chouette projetée sur l’écran, volant vers nous, les serres en avant. Image de la férocité du monde de la finance ? Du piège du Destin qui se referme ? Référence à Athéna, à la fois déesse de la sagesse et de la stratégie militaire ? Rapace nocturne mystérieux, prophétesse de malheur ou de mort selon certaines croyances, associée à la sorcellerie au Moyen-Âge, esprit de la forêt dans certaines légendes populaires d'Allemagne et de Scandinavie, elle ne peut que trouver sa place ici. Son image énigmatique semble être la moralité qu’il nous faut alors déchiffrer…


Susanna Branchini (Mady Macbeth) et Elchin Azizov (Macbeth) ; © Stofleth

Côté voix, c’est à Elchin Azizov que revient le rôle-titre qu’il sert à merveille, avec un beau lyrisme et une belle implication, entre folie et raison lors de ses visions, n’allant jamais trop loin dans la crainte et la paranoïa, montrant également la fragilité de ce personnage poussé au crime par sa femme mais aussi par son désir de pouvoir né de la prémonition. Ici, il tue également son épouse, montrant la descente infernale et son détachement à la réalité, comme si la vie devenait virtuelle, perdue dans sa tour… D’ailleurs, il ne meurt pas mais devient à son tour SDF : la mort devient ainsi l’écroulement de son empire financier. Susanna Branchini fait ici des merveilles en Lady Macbeth (rôle qu’elle avait déjà tenu en 2015 au TCE), bien que moins autoritaire qu’on ne pourrait s’y attendre. Elle n’en demeure pas moins ferme, laissant entendre une voix puissante mais aussi beaucoup plus atténuée (non pas inaudible) pour la scène du somnambulisme, la rendant particulièrement réaliste. C’est avec un immense plaisir que nous retrouvons Roberto Scandiuzzi (entendu la veille dans Don Carlos, de même que Patrick Bolleire ici dans le rôle du médecin). Encore une fois, la voix est admirablement ample, la diction toujours aussi soignée et précise, et elle se mêle parfaitement à celle de Macbeth. Quant au rôle de Macduff, originellement attribué à Arseny Yakovlev, il est finalement remplacé par Leonardo Capalbo ce soir-là, le premier étant annoncé souffrant dans le programme. Si le gros plan de la caméra montre un jeu qui manque peut-être un petit peu de subtilité lors de son air « Ah, la paterna mano », difficile de trouver à redire de sa prestation vocale. La ligne de chant est claire, la voix est puissante sans en être criarde, fluide et solaire, tandis que Louis Zaitoun est de son côté un beau Malcolm.

Sous la préparation de Marco Ozbic, les chœurs de l’Opéra de Lyon donnent à nouveau le meilleur d’eux-mêmes, et il faut saluer ici celui des femmes qui sont d’admirables sorcières, chantant d’une même voix unie les fatales prédictions. Bien que très sollicités durant cette période de festival, ils maintiennent un niveau d’excellence qui en fait très certainement l’un des meilleurs chœurs de l’hexagone.

Enfin, Daniele Rustioni poursuit lui aussi sur sa lancée exemplaire, rendant à la partition de Verdi toutes ses couleurs, sa richesse ou encore ses nuances, créant un bel équilibre au sein de l’Orchestre de l’Opéra dont la grande qualité n’est elle aussi plus à prouver. L’alternance du tumulte public et des chuchotements des complots se fait ainsi pleinement ressentir et accompagne à merveille le plateau.

Une reprise réussie qui permet la (re)découverte de l’un des chefs-d’œuvre de Verdi qui séduit par bien des aspects et laisse une image gravée dans l’esprit, forte et mystérieuse. Somme toute, une soirée plutôt chouette !

Macbeth, Opéra de Lyon, jusqu'au 3 avril.

Elodie Martinez
(Lyon, 21 mars 2018)

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