L’Opéra de Lyon ouvrait jeudi sa saison par une rareté : le Mefistofele de Boito. Le hasard a voulu qu’une autre production de cette même œuvre soit également donnée à Orange cet été, mais cela n’enlève rien à l’attrait que pouvait avoir une nouvelle production de cette œuvre que l’on ne voit que peu sur scène. Pour cette rentrée très attendue, la maison lyonnaise a fait appel à Alex Ollé qui a déjà travaillé in loco sur Tristan et Isolde en 2011 (repris ensuite à Barcelone), Le Vaisseau fantôme en 2014, Alceste en 2017 ou encore L’Histoire du soldat cette année. Toutes ces productions, et notamment Le Vaisseau fantôme, ont laissé dans l’esprit du public de vifs souvenirs de réussites scéniques. Avec Mefistofele, il n’est pas certain que l’impression s’inscrive dans cette lignée…
Mefistofele, Opéra de Lyon ; © Mar Flores
Mefistofele, Opéra de Lyon ; © Jean-Louis Fernandez
On attendait peut-être en effet trop du metteur en scène pour cette nouvelle production. Il faut dire que le mythe de Faust n’a plus pour lui aucun secret : après F@aust 3.0 au théâtre et La Damnation de Faust à Salzbourg en 1997, le film Faust 5.0 en 2001, Faust de Gounod en 2014 à l’Opéra d’Amsterdam et finalement Histoire du soldat la saison passée, à la saveur faustienne, Alex Ollé a déjà eu affaire maintes fois à Faust et à Méphistophélès. Toutefois, c’est une vision différente de celles antérieures qu’il propose actuellement à Lyon : bien que l’on retrouve l’idée que Méphistophélès est la part sombre de Faust, notamment dans la scène de la cellule avec Marguerite où cette dernière s’adresse au Diable quand elle parle à Faust, le metteur en scène opte pour un angle différent dans cette œuvre où Méphistophélès est le héros éponyme. D’après la note d’intention, le personnage principal devient chez Alex Ollé « un psychopathe qui exhibe, avec ses visions délirantes, l’infinie cruauté de son imagination destructrice ». Loin de la « grandeur » et de la puissance qu’engendre souvent le fantasme de ce personnage machiavélique, nous plongeons donc ici dans les affres sales, inquiétantes et obscures de ce que l’humain a de plus abjecte. Un point de vue intéressant, s’il était davantage approfondi et qu’il menait le spectateur à un but. Las, on a l’impression que l’inspiration a ici manqué au metteur en scène…
En effet, nous assistons à un enchaînement de scènes plus ou moins lassantes et dont l’intérêt n’est pas toujours flagrant. La scène d’ouverture nous montre une salle de dissection où chacun, sur sa table, semble s’affairer sur un cœur, ce qui amène à songer que nous allons plonger dans l’intérieur humain, dans les tréfonds de l’âme – et en restera au stade de première suggestion. Nous sommes finalement face à des chercheurs dans un univers aseptisé qui rappelle celui de la chambre d’hôpital de l’Histoire du soldat. Méphistophélès est alors un technicien de surface – ou préparateur ? – en tenue jaune de la tête aux pieds face aux tenues blanches des chercheurs. Des ailes viendront parfois parfaire leur combinaison lorsqu’ils incarneront des anges. On s’interroge toutefois sur la scène d’assassinat des angelots suivie par celle de l’arrachement du cœur de Méphistophélès durant la psalmodie finale du prologue. Le sang est présent tout au long de la soirée, jusqu'à la scène finale où le diable tranche la gorge de Faust. La scène de Sabbat s'articule autour d'êtres qui s’arrachent leur peau de bêtes sanglantes. Quant au décor impressionnant, signé Alfons Flores, il est à mettre en parallèle avec l’esprit du psychopathe qui plonge sous la scène comme dans ses méandres. La scène principale, penchée et surélevée, s'élève, puis se baisse pour servir de base à deux autres petites scènes ou éléments qui se complèteront pour former un tout saisissant (cf. photos). La piste de danse finit par lasser, le pauvre chœur en étant souvent réduit à se trémousser sans but. L’idée de prendre en main la boule à facettes comme s’il s’agissait du monde reste quant à elle intéressante, mais ne dure qu’un temps. On a finalement du mal à s'immerger dans cet univers trop éloigné du livret. Pourquoi tant d’écarts qui ne trouvent pas de véritable explication, comme le fait de transposer l’épisode troyen avec Hélène dans des costumes de cabaret et de plumes ? On ressort assez déçu car l’attente était grande et l’intérêt finalement réduit.
John Relyea (Mefistofele) ; © Jean-Louis Fernandez
Côté voix, il n’y a pas de mystère dès les premiers instants : John Relyea est un Méphistophélès magistral à la voix ample et puissante, qu’il sait déployer à merveille dans la noirceur du personnage qu’il montre aussi parfois torturé, comme lorsqu’il se fait le miroir de Faust face à Marguerite. Véritable maître des démons lors du sabbat, sa posture accentue sa dimension inquiétante tandis que la puissance du personnage se reflète dans sa voix et l’impose sans difficulté comme véritable personnage principal. Paul Groves a du mal à se hisser à cette même hauteur dans le rôle de Faust. La voix est belle et lumineuse, la ligne de chant est claire, mais la fatigue se fait parfois sentir dans la soirée et les débuts sont difficiles. Il n’est pas non plus aisé de donner une véritable consistance au personnage, ici relégué au second plan derrière le charismatique rôle-titre. La Marguerite d’Evgenia Muraveva a des accents russes dans son chant et ne marque pas forcément les esprits, du moins dans un premier temps. Les graves soient suaves et elle se libère petit à petit. Son Hélène, quant à elle, convainc davantage. Les Marta et Pantalis d’Agata Schmidt ainsi que les Wagner et Nereo de Peter Kirk viennent compléter avec satisfaction cette distribution dont, indéniablement, John Relyea ressort grand triomphateur et à juste titre.
Comme à son habitude, le chœur (et la maîtrise) de l’Opéra de Lyon offrent une prestation cinq étoiles qui marque l’ensemble de la soirée. Eblouissant de bout en bout, il se surpasse dans une fugue de tous les diables et donne certaines des grandes satisfactions de la soirée. Un plaisir, un régal, une vraie force pour la maison lyonnaise et pour cette production, de même que l’Orchestre sous la direction de son chef permanent, Daniele Rustioni, qui laisse entendre avec une rare netteté les différents degrés et recoins de la partition.
Au final, on se souviendra de cette production pour les chœurs, l’orchestre et le rôle-titre qui sauvent véritablement la soirée sans pour autant réussir à faire oublier une mise en scène lassante et sans grande inspiration, si ce n’est dans les décors.
Elodie Martinez
(Lyon, le 11 octobre)
Mefistofele, Opéra de Lyon, jusqu'au 23 octobre
14 octobre 2018 | Imprimer
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