Ce weekend clôturait la 44e édition du festival d’Ambronay, marquée par de très beaux rendez-vous et des moments conviviaux qui font l’identité du festival, mais aussi par la disparition tragique d’Alejandro Meerapfel, alors qu’il interprétait Il Dono della Vita eterna, aux côtés notamment du Choeur de chambre de Namur. Ainsi qu’il l’a été rappelé juste avant le concert de vendredi soir, certains des artistes présents pour le Requiem étaient donc également là le 22 septembre, ce qui chargeait la soirée d’une dimension supplémentaire.
Rares sont les œuvres exaltant l’imaginaire comme le fait le Requiem de Wolfgang Amadeus Mozart, rendu encore plus populaire et légendaire par le film de Miloš Forman, Amadeus, quand bien même il prend de nombreuses libertés avec la réalité historique. On sait aujourd’hui que le commanditaire de l’œuvre était le comte Franz von Walsegg de Stuppach et que ce sont les élèves de Mozart, Joseph Eybler et Franz Xaver Süssmayr, qui ont terminé le Requiem. Il reste toutefois difficile de distinguer ce qui relève de leurs mains et de celle de Mozart, mais les circonstances de sa composition font de cet ultime chef d’œuvre une commémoration de la propre mort du compositeur, fauché avant même d’avoir pu apposer la dernière note et le contexte demeure une source intarissable de légendes et d’inspirations. La puissance de la musique qui se déverse ici ne fait qu’ajouter à la passion autour de cette œuvre.
Le programme de la soirée – également donnée au Théâtre des Champs-Elysées demain soir – s’ouvre toutefois par la Symphonie concertante pour violon et alto du même compositeur, « un genre typiquement français que le compositeur avait pu découvrir lors de ses passages à Paris ». Pour l’occasion, Julien Chauvin s’arme de son violon face à l’alto d’Amihai Grosz pour un duo/duel de dextérité mozartienne. On entend de-ci, de-là quelques accents que l’on retrouvera dans La Flûte enchantée, et les doigts habiles jouent sur les cordes. La partition, plaçant l’alto au même niveau que le violon, rapproche les sonorité et fait entendre un son plus clair, plus tendu, plus vigoureux qu’on ne le fait d’habitude pour l’alto. Les trois mouvements se succèdent dans une véritable joie et une explosion vivace pour le « Tempo di Menuetto », après un « Andantino Grazioso » qui porte bien son nom. La douceur et la sonorité un peu plus sombre ne sont pas synonymes de tristesse, loin de là. L’accompagnement du Concert de la Loge ne permet pas de distinguer toutes les lignes des pupitres, certainement à cause de l’acoustique, et cette première partie invite finalement l’oreille de s’acclimater au lieu pour mieux profiter de la pièce de résistance après cette entrée qui sait titiller les papilles.
Le Concert de la Loge, Julien Chauvin et Amihai Grosz © Bertrand Pichène
L’entracte laisse donc la place au Requiem, que le public est venu écouter très nombreux. Si les violons se font un petit peu trop sonores dans les premières notes – du moins de notre place –, Julien Chauvin rétablit rapidement l’équilibre, et l’on savoure ensuite chaque note jusqu’à la fin. Le Choeur de chambre de Namur déploie toute sa force et son expressivité dans les parties qui se succèdent. Le tempo adopté est assez rapide, les parties s’enchaînent parfois et montrent l’incroyable lien entre elles. L’émotion est forte face à la justesse et la précision des pupitres qui, en plus de nous livrer le Requiem, semblent se livrer eux-mêmes à travers lui.
Les quatre solistes réunis ne souffre aucun reproche, à commencer par la soprano Julia Lezhneva : l’émission est très belle, la ligne est claire, le medium ambré et solide. Le soleil rougeoyant de la voix de la mezzo-soprano Eva Zaïcik – que nous avions déjà entendue dans le cadre de ce festival en 2020 – illumine elle aussi l’abbaye et déploie ses ailes de feu tel le phœnix dans une belle résonance. Il en est de même du timbre solaire du ténor Mauro Peter, modulant parfaitement la ligne expressive, ainsi que les phrases et sa projection avec un art particulièrement appréciable. Quant à la basse Andreas Wolf, excellent, il confirme et renouvelle notre enthousiasme à son sujet après l’avoir entendu cet été au festival de Saint-Denis. La ligne de chant demeure noble et solide, particulièrement audible pour ce timbre. Chacun des solistes brille alors dans les notes qui lui sont confiées, mais l’ensemble est lui aussi particulièrement uni et harmonieux. Tous semblent à l’écoute des autres et unissent leurs voix dans une même partition, magnifiquement servie. L’attention qu’ils se portent se voit aussi lorsque la tablette de la soprano connaît apparemment un petit souci technique, et que la mezzo-soprano lui indique le passage sur sa propre partition. Une fois assise Julia Lezhneva fera d’ailleurs une bise à sa consœur pour la remercier. Bien que le choeur soit la voix majeure du Requiem, les quatre interprètes réussissent à faire de chacune de leur intervention un moment qui n’a rien d’anecdodique.
Julia Lezhneva, Eva Zaicik, Mauro Peter et Andreas Wolf, © Bertrand Pichène
On ne se lasse décidément pas de ce chef d’œuvre mozartien, qui plus est lorsqu’il est si bien servi. Chaque instant était fort, parvenant à se démarquer des autres sans pour autant les écraser. Une observation qui dépeint aussi fort bien les solistes, et même l’ensemble des artistes. Sans surprise, la salle réserve un triomphe aux artistes, au point d’obtenir un bis, un « Requiem aeternam » très doux et lent, suivi d’un long silence. On ne peut donc qu’encourager le public à se rendre au Théâtre des Champs-Elysées demain soir, ou sur Culturebox où la captation de la soirée est disponible jusqu’au 5 octobre 2024.
Requiem de Mozart au festival d'Ambronay le 6 octobre, puis au Théâtre des Champs-Elysées le 10 octobre.
Elodie Martinez
(A Ambronay le 6 octobre)
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