Un Séisme secoue l'Opéra de Montpellier

Xl_mg4_2862 © Marc Ginot

On le sait, l’opéra est un art vivant qui ne cesse d’évoluer depuis sa création, s’adaptant aux époques et aux styles qu’il traverse. Néanmoins, cette évolution est parfois un travail lent, voire timide. L’Opéra de Montpellier assume pour sa part complètement son rôle de transmission du patrimoine mais aussi de création et de recherches sans aucune timidité. Avec ses artistes en résidence, il a ainsi pu faire naître un opéra moderne d’un nouveau genre : participatif, immersif, numérique, alliant technologies (dont l’intelligence artificielle) et humain. C’est ainsi que le public montpelliérain a pu découvrir la création mondiale de Séisme les 10 et 11 février derniers, au cours de pas moins de 20 séances au total.

À l’origine du projet, des artistes en parfaite collaboration : Franciska Éry (mise en scène), Alex Ho (composition), Ar Guens Jean Mary (livret) – tous les trois en résidence – ainsi que Mathieu Cabanes (lumières) ou encore Julien Guillamat (design sonore) arrivé un peu plus tard dans le projet. De longues recherches ainsi que des réflexions, y compris sur l’opéra aujourd’hui, ont amené à Séisme. Ici, l’équipe souhaite « encapsuler le public », et que le numérique ne soit pas synonyme de virtuel. On casse les codes, on brise la distance mise habituellement avec le public : il est littéralement au cœur de la scène, au cœur du projet. Il devient public-acteur. Il s’agit d’un mélange dans lequel les lignes s’effacent au profit du « tout », au profit de l’ensemble.


Séisme, Opéra de Montpellier © Marc Ginot

L’aventure débute à l’arrivée, lorsque l’on est invité à déposer ses affaires pour enfiler un Subpac, (un gilet vibrant que l’opéra met habituellement à disposition pour son public sourd). Chacun est libre de gérer l’intensité des vibrations transmises par l’appareil, par ailleurs léger et agréable à porter. Nous entrons ensuite directement sur scène en passant par les coulisses et nous retrouvons dans un gigantesque cube : quatre murs de 10 mètres de long sur six mètres de large formés par des écrans, avec un sol recouvert de liège brûlé – possédant « une empreinte olfactive unique aux notes chaudes et fumées » selon le programme – et de quelques plantes. Nous voilà donc en petit groupe à déambuler sur ce sol aux allures brûlées, sec, incroyablement léger, mis en morceaux. Sur les écrans défilent des indications : à nous de marcher, de creuser, de toucher… Le livret est déclamé par l’auteur lui-même : il déverse sa poésie, son histoire. Après avoir vécu un tremblement de terre à Haïti, il souhaite en tirer ici une universalité par la poésie. Il dicte ainsi son rythme et ses accents, qui ne sont pas toujours ceux que l’on aurait pris naturellement. C’est donc une chance et une richesse que le poète, dont les lèvres puis le visage sont projetés, nous livre personnellement ses mots que chacun appréciera selon ses goûts et sa sensibilité personnelle.

Côté musique, Alex Ho compose une partition à base de contrebasses, trombones et percussions. Il souhaite être au plus proche du séisme, et prend en considération les textes d’Ar Guens Jean Mary, ainsi que la présence des gilets vibrants. En résulte un accompagnement des profondeurs, un langage terrestre, terrien et terreux qui dénonce lui aussi le viol de la Terre imagé dans le texte. Les voix se font entendre, outre celle du poète : la basse Albert Alcaraz et la soprano Hwanyoo Lee. Dans les deux cas, on note une prononciation quelque peu approximative, ce qui est d’autant plus dommage dans ce contexte de poésie. La Classe Opéra d’Opéra Junior offre aux enfants un beau passage, avec l’ouverture sur l’avenir que le présent leur laisse.


Séisme, Opéra de Montpellier © Marc Ginot

Dans cette œuvre néanmoins, le fond et la forme demeurent indissociables : les vidéos projetées ne font qu’unes avec les lumières, la musique, le texte et la mise en scène se rejoignent dans un même objet animé par les technologies modernes et agencées de manière inédites. Ainsi, tout est déjà enregistré et un jeu discret de hauts-parleurs offrent une véritable spatialisation du son. Les voix viennent d’en haut, de manière distincte, montent, apparaissent d’un côté ou d’un autre… Les vibrations des gilets sont en adéquations avec la musique, mais aussi avec les pas des personnes qui se déplacent sur ce sol sous lequel sont placés des capteurs. Julien Guillamat joue avec tout cela pour un résultat remarquable et surprenant, tellement naturel et discret qu’on pourrait même en oublier toute la technique qu'elle implique. Le public est aussi amené à délivrer un message à la Terre via un micro qui apparaît au centre de la « pièce ». Ces messages sont ensuite convertis en textes projetés sur les murs grâce à l’intelligence artificielle. Puis c’est la fin. Le tout aura duré 45 minutes environ, et tandis qu’un groupe de spectateurs sort par les loges, le suivant arrive pour se préparer et recommencer un nouveau cycle, un nouveau spectacle qui sera forcément différent : le bruit des pas ne sera pas le même, les actions des uns et des autres non plus, les messages différeront certainement eux aussi…

Avec Séisme, l’Opéra de Montpellier poursuit sa mission pour l’avenir. Il ne se repose pas sur un répertoire acquis, ni même sur une forme traditionnelle : il surprend et s’ouvre à toutes les technologies d’aujourd’hui tout en se questionnant sur des enjeux ô combien d’actualité. L’équipe artistique à l’origine du projet se sert de ces technologies avec intelligence, et appuie sur l’intérêt de l’humain au centre de tout cela. Toutefois, si l’être humain est bien là, si la poésie et les sensations physiques sont amenées, qu’en est-il de l’émotion ? On prend plaisir à la découverte de la nouveauté, mais ressent-on vraiment le message de l’œuvre d’art à laquelle nous sommes invités à participer ? Peut-être est-ce là la plus grande difficulté qu’il reste encore à surmonter : la sensation ne laisse pas sa place à l’émotion.


Séisme, Opéra de Montpellier © Marc Ginot

Finalement, Séisme s’offre comme une expérience davantage que comme un spectacle. La production peut s’exporter sans difficulté. Elle est le fruit d’une réflexion et amène également à s’interroger. Mais pour imaginer qu’une telle forme puisse devenir un avenir possible de l’Opéra, il manque ce qui fait l’âme de toute forme d’art : l’émotion viscérale. Le résultat n’en reste pas moins à saluer. On espère que cette production ne sera pas un one shot et que l’on pourra être témoin d’autres mariages aussi réussis entre art et technologies.

Elodie Martinez
(Montpellier, le 10 février 2024)

Séisme, création mondiale à l'Opéra de Montpellier les 10 et 11 février 2024.

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