Un Turc en Italie hors cadres à l'Opéra de Lyon

Xl_2024_leturcenitalie_pg_c_paulbourdrel_hd_040 © Paul Bourdel

Pour la fin d’année, l’Opéra de Lyon opte pour une recette qui lui a toujours réussi : une œuvre légère placée entre les mains expertes de Laurent Pelly, pouvant s’appuyer sur une belle distribution. Une nouvelle production signée par le metteur en scène est toujours un événement – bien qu’elle ait déjà été donnée en 2023 à Madrid qui est coproducteur –, mais il est d’autant plus important avec ce Turc en Italie puisqu’il s’agit d’une entrée au répertoire de l’Opéra ! En effet, bien que l’œuvre soit loin d’être rare, elle ne fut étonnamment jamais donnée à Lyon jusqu’à hier soir, après quelque 210 ans d’attente.

La ligne directrice du projet apparaît dès les premières secondes, lorsque le rideau se lève pour dévoiler une immense couverture de magazine italien qui semble en toute logique être un roman-photo : le numéro 49 datant de 1971. Une belle façon de nous situer dans le temps, bien que les costumes nous y amènent également de manière assez subtile – point de pantalon à patte d’éléphant par exemple. Fiorilla s’avère en être une grande fan, comme nous le voyons alors : allongée sur sa chaise longue dans son jardin, elle feuillète les pages en riant, avant que son époux ne sorte du garage pour passer la tondeuse jusque dans ses jambes, ou encore ne revienne à la charge quand elle se rassied, cette fois-ci avec le tuyau d’arrosage. Le poète en panne d’inspiration est ici dans la position du voisin tentant d’écrire à sa fenêtre et devient central, véritable maestro ou marionettiste de ce qui va suivre afin de remplir ses pages blanches.


Il Turco in Italia, Opéra de Lyon (2024) © Paul Bourdel

Le décor tout entier nous plonge dans un immense roman-photo, avec des collages dignes de ces numéros : ainsi, la porte de la maison est une photo de porte, de même que pour la façade ou les haies qui sont des photos de haies collées sur de grands éléments rectangulaires. Le résultat est des plus réussis, entre réalisme et impression de magazine. Le fond de scène est un extrait de roman-photo, le bateau de Selim est un magazine penché dont l’angle rappelle la proue, des cadres blancs viennent afin que les personnages se positionnent dedans ou tentent de s’en extraire. C’est le cas de Fiorilla qui essaie de s’extirper à plusieurs reprises, toujours retenue par les autres personnages. Une belle façon aussi de matérialiser sa volonté de fuir sa vie actuelle, son « cadre » de vie pour un autre.

À plusieurs reprises, certaines cases seront vides, parfois comblées par les personnages eux-mêmes ou le décor. Tout s’imbrique avec intelligence et humour. Quant à cette idée centrale de roman-photo et de magazine, elle rappelle – pour celles et ceux qui y avaient assisté – le souvenir du Barbe-Bleue mis en scène in loco en 2019 et 2024 où déjà, la presse papier avait une place importante dans le décor. Un écho dans le travail scénique qui lie finalement les souvenirs d’une impression agréable et joyeuse dans les deux cas.


Il Turco in Italia, Opéra de Lyon (2024) © Paul Bourdel

Toutefois, si la proposition scénique a de quoi séduire, la magie opère aussi grâce aux talents déployés sur scène, tant vocalement que par le jeu. Florian Sempey semble prendre beaucoup de plaisir dans le rôle de Prosdocimo, auteur marionnettiste qui ne quitte pas sa tenue décontractée et son peignoir de toute la soirée. Ses mimiques servent à merveille le comique de l’œuvre et de la vision du metteur en scène, tandis que la voix, elle, porte avec art la partition de Rossini. Miroitante, puissante, nuancée et colorée, elle se déploie avec art et malice pour le plus grand plaisir de tous. Il est le personnage central, puisque c’est lui qui semble tirer les ficelles afin de trouver l’inspiration pour l’œuvre qu’il ne parvient pas à écrire. Néanmoins, le Don Geronio de Renato Girolami n’a pas à rougir, loin de là ! Il s’impose sans effort apparent dans ce rôle de mari cocu – né sous le signe du Bélier, comme il est rappelé avec humour. La voix est noble et puissante, sans pour autant être écrasante, servi par un jeu naturel comique que l’on savoure.

Davantage dans la caricature du roman-photo, le Selim d’Adrian Sâmpetrean est un vrai régal, tant pour les oreilles que pour les yeux ! Il parvient à livrer un portrait aux traits grossis... sans pour autant que l’on y sente d’exagération excessive ! On se laisse également charmer par la voix ronde et envoûtante de la basse roumaine, dont la ligne de chant s’avère aussi efficace que des flèches de Cupidon pour chaque femme qu’il rencontre.


Il Turco in Italia, Opéra de Lyon (2024) © Paul Bourdel

On ressort toutefois moins convaincu par le Narciso d’Alasdair Kent dont la projection n’est pas au même niveau que celle de ses partenaires, créant un certain déséquilibre avec eux. Son jeu tout penaud tire peut-être un peu plus sur les traits mais dans l’atmosphère générale, cela n’a rien de choquant. D’autant plus qu’il s’en sort mieux dans la seconde partie, malgré quelques aigus un peu serrés durant la soirée. On apprécie finalement davantage l’Albazar de Filipp Varik – soliste de l’Opéra Studio – qui, malgré la brièveté de son rôle, parvient à y briller particulièrement.

Autre soliste de l’Opéra Studio, Jenny Anne Flory est une Zaïda au tempérament et à la voix de mezzo déjà bien trempée. La projection est déjà affirmée et les graves posées avec stabilité, tandis que le jeu est tout aussi convaincant. Elle tient tête sans mal à la Fiorilla de Sara Blanch. Cette dernière laisse sa voix et sa technique s’épanouir dans ce registre qui lui sied particulièrement, offrant force, nuances et couleurs miroitantes à sa partition. Elle plonge et nous entraîne avec elle dans ce personnage exaspéré par son époux. Le couple offre par ailleurs un très beau duo dans le premier acte (« Per piacere alla signora ») dont on se délecte en tout point.


Il Turco in Italia, Opéra de Lyon (2024) © Paul Bourdel

Dans la fosse, Giacomo Sagripanti entraîne l’Orchestre de l’Opéra de Lyon dans une folle course rossinienne, n’en délaissant ni l’effervescence, ni les motifs comiques ou plus doux. L’éloquence de Rossini se déverse et se trouve galvanisée par la direction du chef. Les chœurs de la maison – préparés par Benedict Kearns – s’avèrent toujours aussi homogènes et excellents que d’habitude.

Au final, si l’on se rend au spectacle les yeux fermés face aux noms de l'affiche, on ne tarde pas à les rouvrir grands afin de ne rien manquer de cette folle soirée ! Une belle façon de clore l’année.

Elodie Martinez
(A Lyon, le 11 décembre 2024)

Il turco in Italia, à l'Opéra de Lyon jusqu'au 29 décembre 2024.

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