Une inoubliable Carmen ouvre le Midsummer Festival d'Hardelot

Xl_dsc_2344 © Midsummer Festival

Le Midsummer Festival d’Hardelot s’ouvrait dès jeudi dernier pour un premier weekend particulièrement alléchant et éclectique, avec pour commencer une Carmen immersive comme on n’en a jamais vue – ce qui n’est pas une mince affaire avec cette œuvre qui est la plus jouée dans le monde – sans pour autant trahir l’esprit de l’opéra, le livret ou sa musique. Chapeau bas à la compagnie Maurice et les autres, et à Jeanne Desoubeaux qui signe la mise en scène.

La soirée se déroulera en trois lieux différents, avec un point de départ à l’entrée du domaine, devant la cafétéria et la billetterie. Nous sommes invités à déambuler dans la verdure si agréable du lieu, afin de nous rendre devant la chapelle, où des tabourets nous attendent face à un piano. Deux femmes arrivent, grimées, et se présentent : Frasquita et Mercedes. Elles sont là pour nous donner un rapide cours de défense en cas d’agression… et rappellent les ravages des féminicides, viols et autres agressions. Une entrée en matière qui trouvera particulièrement écho en fin de soirée, avec le meurtre de Carmen…

Arrivent finalement les autres personnages, aux costumes parfois clownesques, décalés, sans pour autant être ridicules dans l’ambiance de la soirée. Nous n’entendrons pas le livret exact de Carmen : certains airs sont supprimés, les dialogues sont largement retravaillés… et pourtant, l’histoire est bien là, sans être trahie. La musique aussi, malgré l’orchestre réduit aux interprètes présents, avec un piano, des ukulélés, des claves,… Finalement, cela suffit pour que les airs vivent pleinement et que la musicalité de Bizet en découle naturellement. Il n’y a d’ailleurs aucune tromperie puisque le programme indique que cette Carmen est « d’après l’œuvre de Bizet ». La surprise est donc agréable de découvrir une adaptation si fidèle à l’originale !

Durant ce premier acte, nous faisons notamment la connaissance d’un brigadier penaud, un peu simplet, innocent, presque enfantin, qui se fait embêter par ses camarades. Zuniga récupère la lettre de la mère du brigadier, et ses camarades la lisent pour s’en moquer. Lorsque Carmen lui fera quelques sous-entendus séducteurs, il répondra au premier degré, ce qui donne un savoureux dialogue autour de sa bicyclette ! Bien entendu, ce brigadier timide n’est autre que Don José… Vient le moment de son incarcération après la fuite de Carmen, et nous sommes conviés par Zuniga à nous rendre chez Lillas Pastia, toujours en extérieur. A l’intérieur d’un « enclos », l’hôtesse nous accueille à grands cris, agacée de voir tout ce monde débarquer dans son établissement alors qu’elle s’apprêtait à fermer ! Nous prenons place sur des coussins au sol, et une boisson nous est servie pour celles et ceux qui le souhaitent, par les personnages eux-mêmes. Une installation sonore est en place, entre instruments et micros, de même qu’un petit bar. Bref ! Nous sommes bien installés chez Lillas Pastia, dans une ambiance conviviale et chaleureuse malgré le froid du vent. Le spectacle est léger, serein, nous tapons des mains, suivons l’intrigue comme un groupe invité. Toutefois, malgré cette atmosphère extrêmement festive, surgit un élément annonciateur de la tragédie : alors que Don José part à l’appel du clairon et qu’il est moqué par Carmen, il la frappe. Une gifle. Celles qui l’ont vécu le savent : cela n’a rien d’anodin et peut être les prémices à des coups bien plus graves encore. L’ambiance est plombée, tandis qu’il prend le micro et chante pour demander pardon. Heureusement, Escamillon arrive et la légèreté est de retour. On s’amuse des hurlements de midinettes fanatiques – tout particulièrement Frasquita – à l’arrivée du toréador en tenue extrêmement moulante, rappelant celles en haltérophilie, échancrée jusqu’au nombril.

Enfin, ultime lieu de représentation de cet opéra itinérant : le théâtre élisabéthain d’Hardelot. Nous piochons une carte de tarot à l’entrée, et les heureux détenteurs (ou heureuses détentrices) d’une carte dorée s’assiéront au cœur de l’arène. L’ensemble des personnages est présent, à commencer par Escamillo et Carmen, mais aussi Frasquita et Mercedes, Lillas Pastia et bien sûr Don José qui tourne et rôde. On tire les cartes, le toréador fait son show… Carmen est avertie : elle doit faire attention, son ancien amant est dans les parages. Puis c’est la confrontation. Don José, prêt à tout oublier du passé pour un nouvel avenir avec Carmen, qui refuse catégoriquement. Elle l’éconduit, encore, et encore. Pourtant, ici, elle ne se pose pas devant lui en le défiant : elle tourne, l’esquive, cherche apparemment à fuir pour passer. Ils se tournent autour, mais elle ne peut pas lui échapper. Dans un mouvement particulièrement violent, il la saisit par les cheveux et la traîne de force derrière le piano sur scène pour la battre à mort. Il en ressort, les mains pleines de sang, avouant son geste, encore perdu par la violence qu’il vient d’abattre sur celle qu’il aimait. « Sa » Carmen, sa chose à lui qui ne peut être à personne d’autre, pas même à elle-même. Puis il part en courant, nous laissant tous, personnages et public, abasourdis.

On l’aura compris : la proposition nous a totalement conquis, et c’est d’ailleurs debout que le public applaudit cette soirée. Nul besoin de relecture incongrue pour proposer une Carmen originale ET fidèle à Bizet. Jeanne Desoubeaux et la compagnie Maurice et les autres l’ont bien compris. Par ailleurs, chacun trouve parfaitement sa place et montre des talents divers puisqu'en plus du chant, chacun participe à l’instrumentation.

Côté voix, justement, Anaïs Bertrand est une belle Carmen au mezzo solaire, aux aigus enlevés et graves aguicheurs. Elle ne fait qu’une avec le personnage, au point que l’on ne distingue par l’artiste de l’héroïne espagnole dans cette mise en scène de proximité. Amusée, amusante, légère, grave, sévère, décidée, apeurée, elle est une Carmen d’aujourd’hui. Kaëlig Boché n’écope clairement pas du rôle le plus facile avec ce Don José qui évolue de manière phénoménale durant la soirée. Pourtant, le jeu est si convaincant que l’on ne s’étonne pas de le voir passer de l’homme-enfant à l’amant violent et colérique. Celui qui jouait à réparer sa bicyclette finit par casser une femme dont il n’a pas su briser la volonté. La victime attachante devient bourreau effrayant. Vocalement, son soleil ne décline pas, apportant une belle ligne de chant, ne laissant jamais sa voix de ténor perdre en qualité. Une autre voix particulièrement attrayante est celle de Jean-Christophe Lanièce, profonde et suave. Il campe un Morales moqueur à souhait, drôle, véritable touche comique dont la voix impose néanmoins le respect. L’autorité est également au rendez-vous en Escamillo dragueur, et on apprécie les deux facettes de l’artiste.

Le Zuniga d’Igor Bouin se pose comme fil conducteur de la soirée et maître de cérémonie, toujours armé de son trombone. Le chant est ample, charnu, et le nuancier dont il fait montre dans son interprétation est des plus appréciables. Citons également Solène Chevalier au violoncelle, Vincent Lochet à la clarinette et Flore Merlin au piano, tous participant à la dynamique de la troupe, y compris dans le feu de l’action. Les instruments se répondent en bons amis, et le petit ensemble formé s’équilibre parfaitement.

Enfin, comment oublier les Mercedes et Frasquita respectivement de Pauline Leroy et Agathe Peyrat ? La mezzo-soprano laisse entendre une belle voix ample et un caractère bien trempé face à cette consœur qui ne cesse de lui couper la parole en début de soirée – un trait voulu par la mise en scène. Le jeu de la soprano nous emporte totalement, son charisme n’ayant aucun mal à s’imposer.

Nous retrouvions d’ailleurs cette dernière le lendemain après-midi dans un programme totalement différent, avec son ukulélé, aux coté de Pierre Cussac (à l’accordéon) pour une revisite de l’univers des Beatles où, après quelques notes lyriques, Agathe Peyrat laissait place à sa voix de « variété » pleine de charmes et entraînante.

Finalement, le festival d’Hardelot a déniché une véritable pépite avec cette Carmen qui, après avoir lancé les festivités, place la barre bien haute pour le reste du festival. Et on se réjouit de la grande tournée qui attend ce spectacle itinérant accessible dès 13 ans, qui passera notamment par Rennes, Les Nuits de Fourvière (à Lyon) du 8 au 13 juillet, Promenades en pays d'Auge (Lisieux), Le Mans ou encore Lisieux. A ne pas manquer !

Elodie Martinez
(Hardelot, le 21 juin)

Carmen, par la Compagnie Maurice et les autres, en tournée :
 - du 2 au 4 juillet, aux Tombées de la nuit en partenariat avec l’Opéra de Rennes
 - du 8 au 13 juillet, aux Nuits de Fourvière à Lyon
 - les 20 et 21 juillet, Promenades en pays d'Auge à Lisieux
 - du 15 au 17 août, Festival International de théâtre de rue à Aurillac
 - du 13 au 15 septembre, Les Quinconces L'Espal - Scène Nationale au Mans
 - du 20 au 22 septembre, au Théâtre de St Quentin en Yvelines - Scène Nationale

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