Une Madama Butterfly en hommage à Puccini à l'Opéra de Nice

Xl_dsc_1490-avec_accentuation-bruit © Dominique Jaussein

Hier soir se tenait la première de Madama Butterfly à l’Opéra de Nice, dans la mise en scène de Daniel Benoin créée in loco en 2013. Un « retour au bercail » effectué à l’occasion du centième anniversaire de la mort du compositeur.

Ainsi que le metteur en scène l’indique dans les notes du programme de salle : « que ce soit au théâtre ou à l’opéra, je commence toujours par m’intéresser aux didascalies et autres petites indications que l’on trouve en dehors du texte lui-même (…) Et ici, la première chose qui m’a frappé, c’est que l’histoire se passe à Nagasaki ». Il n'en fallait pas plus pour que Daniel Benoin centre sa réflexion sur la ville détruite par la bombe atomique, comme l’indique le champignon atomique projeté sur l’écran sur scène dès l’Ouverture. Le rideau se lève sur un décor de décombres, « une ville détruite, ravagée, avec simplement cette porte de temple qui, on ne sait par quel miracle, est restée debout ». On s’interroge toutefois lorsque cette image revient durant la transition au troisième acte. L’écran projette une image de la ville dans ses beaux jours, puis l’explosion et sa déflagration, et enfin la désolation qui en résulte. Est-ce alors une métaphore de l’intériorité de Butterfly qui, après ces années d’attente, voit enfin Pinkerton revenir à quai mais se rend compte qu’il ne reviendra pas vers elle malgré leur fils ? La déflagration atomique serait alors l’image de celle que ressent la jeune femme, et la dévastation qui s’ensuit serait la sienne.

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Madama Butterfly, Opéra de Nice © Dominique Jaussein

Dans ce contexte de ville détruite, ce n’est pas une maison que Goro fait visiter à Pinkerton, mais une maquette. Il faudra attendre le deuxième acte pour voir une vraie maison sur scène, alors que les jeunes mariés ont passé leur nuit de noce sur un matelas tiré sur le sol par le jeune marié. Autre petit grain de sable dans la machinerie globale de la mise en scène, le choix d’un garçon aussi grand pour jouer le rôle de l’enfant rend difficile de croire au délai de trois ans d’absence souvent rappelé, et diminue quelque peu le pathos du sacrifice de Cio-Cio-San.

Toutefois, si ces détails se relèvent, ils ne viennent pas bloquer la lecture globale de l’œuvre. Ce déplacement de la lecture de la fin du XIXe siècle à l’après août 1945 n’entache en rien la compréhension. Il appuie même sur l’opposition des deux cultures – visible dans les deux drapeaux, les éventails et la peluche d’une célèbre souris américaine ou encore un ballon de football américain, le passage de kimonos aux vêtements américains, etc., et le reniement du Japon à ses traditions et anciennes valeurs. Ce même renoncement qu’opère Butterfly et qui lui vaut la malédiction des siens. Quant à l’écran servant de toile de fond, il prolonge le décor et offre une vue imprenable sur le port, ce fameux port que la jeune femme ne quitte pas des yeux. Une porte d’entrée et de sortie, amenant et reprenant le bonheur.


Madama Butterfly, Opéra de Nice © Dominique Jaussein

Sur scène, Corinne Winters reprend le rôle de Cio-Cio-San dans lequel notre collègue l’avait entendue en 2021 à Rome. La voix porte haut les couleurs de la partition et le chant se module au gré de l’interprétation de l’artiste. Touchante, fragile et délicate, elle sait aussi se montrer forte et d’une belle lucidité candide, presque dure dans l’intelligence de la situation dont fait preuve la jeune fille. On retrouve les 15 ans du personnage mais aussi la maturité qui s’abat sur elle avec cruauté. Ses adieux sont ainsi à la fois nobles et touchants avant que le papillon ne s’épingle de lui-même sur le tableau de chasse de Pinkerton.

Ce dernier est interprété par Antonio Corianò, dont le timbre solaire ne rend malheureusement pas le personnage moins détestable ni moins lâche, celui-ci fuyant la vue des deux corps sans vie sans même prendre la peine d’emmener son fils avec lui durant la scène finale. Peut-être aurait-on apprécié davantage de corps encore dans la voix, mais cela n’enlève rien à la ligne de chant toujours maintenue sans faux pas. D’autant plus que le duo avec Butterfly s’avère un très beau moment dans la soirée.

Deux autres voix se remarquent particulièrement dans cette distribution. D’abord, la Suzuki de Manuela Custer, à la fois solide et discrète avec son timbre de mezzo-soprano. Subalterne, elle se soumet tout en gardant une personnalité forte et maternelle envers sa maîtresse, l’accompagnant dans la mort. Ensuite, le Sharpless d’Angel Odena s’avère particulièrement convaincant, riche d’une humanité profonde qui se reflète dans sa voix de baryton. Il amène une autorité naturelle au personnage, dont la sensibilité et l’intelligence manque cruellement à Pinkerton. Il récolte ainsi une reconnaissance fort méritée au moment des saluts.


Corinne Winters et Manuela Custer, Madama Butterfly, Opéra de Nice © Dominique Jaussein  

Josep Fadó ne marque pas particulièrement les esprits dans son rôle de Goro, et les quelques courtes notes laissées à la Kate Pinkerton de Valentine Lemercier ne suffisent pas pour apprécier tout le talent que nous lui connaissons – si ce n’est dans le jeu d’actrice. Luca Lombardo s’affranchit parfaitement du rôle du Prince Yamadori, avec aplomb et conviction, de même que Mattia Denti en Bonze.

Toutefois, si la distribution est source de satisfactions, celle que l’on retient particulièrement ce soir est l’Orchestre Philharmonique de Nice sous la direction du chef d’origine ukrainienne Andriy Yurkevych. Sous sa baguette, l’orchestre tisse un langage musical fin et soyeux, un véritable travail d’orfèvre qui enveloppe sur-mesure les voix sur scène, notamment lors du célèbre air de Butterfly. Tout est ajusté au millimètre pour parfaire un rendu musical sans faute. Quant au Chœur de l'Opéra Nice Côte d'Azur, préparé par Giulio Magnanini, il se montre à la hauteur des attentes.

Elodie Martinez
(Nice, le 6 mars 2024)

Madama Butterfly, Opéra de Nice Côte d'Azur du 6 au 12 mars.

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