L’oeuvre a beau être connue de tous aujourd’hui, pouvoir entendre sur scène la Neuvième Symphonie de Beethoven est toujours un événement, comme en témoigne la salle pleine du Corum de Montpellier vendredi dernier, ainsi que les personnes postées dehors avec un écriteau à la recherche de places pour la soirée.
Il faut dire que si la partition attire à elle seule les foules, la distribution réunie pour l’occasion avait de quoi allécher elle aussi. À commencer par le retour du chef Michael Schønwandt qui revenait diriger pour la première fois depuis son départ en tant que chef principal de la maison à la fin de la saison dernière. À la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie qu’il connaît bien, des solistes, mais aussi des Chœurs de la maison, de l’Opéra de Toulon ainsi que de l’Opéra national du Capitole (préparés respectivement par Noëlle Gény, Christophe Bernollin et Gabriel Bourgoin), il insuffle toute son énergie à la soirée. Dans les notes du programme, le chef danois explique que même si cette symphonie est connue d’un très grand nombre, « elle n’est pas jouée si fréquemment par les musiciens de l’orchestre et je crois que beaucoup vont la jouer pour la première fois ». Il confie également que « cette œuvre n’est pas un standard ou une routine, elle exige un véritable élan collectif… il faut donner tout ce qu’on a à donner ». Selon lui, « cette symphonie reste toujours surprenante pour celui ou celle qui l’écoute pour la première fois ».
C’est avec bienveillance et sourire qu’il dirige l’orchestre devant lui. Avec le premier mouvement, Beethoven crée le monde : les pupitres se rassemblent les uns après les autres, dans un brouillard nocturne léger, finalement zébré et dissout par la réunion et l’union de l’orchestre, enfin un. Les respirations de l’orchestre et le paysage musical dépeint se dessine et nous emporte avec douceur et légèreté. Le chef et l’orchestre nous laissent reprendre notre souffle avant le scherzo du deuxième mouvement et les interventions des percussions. L’énergie bouillonne, le rythme vivace présent dès le début se poursuit. On s’agite avec art, et on module pour un résultat – fort heureusement – loin d’un monobloque musical sans âme. Puis arrive le troisième mouvement, et l’entrée en scène des quatre solistes, applaudis pour l’occasion. Le chef maintient les nuances et les cadences, tandis que l’oreille découvre les solistes, avec tout d’abord la basse Edward Grint. L’attaque est solide et la voix porte, mais il faut bien avouer que la partition est assez ingrate pour les solistes qui, bien que placés en avant-scène, doivent tout de même parvenir à passer un véritable mur de son. Entre la puissance de l’orchestre et celle des chœurs, la voix peine parfois à se faire entendre, y compris pour le ténor Thomas Bettinger et la mezzo-soprano Marion Lebègue. Aucun d’eux ne démérite, mais la bataille est inégale et leurs voix n’arrivent pas à s’envoler avec leur grandeur habituelle. Il n’en reste pas moins que les accents ambrés du ténor se font entendre, tels des rayons perçant les nuages, et que la ligne de la mezzo-soprano offre un socle solide sur lequel les autres peuvent s’appuyer. Celle qui se démarque néanmoins est indéniablement Angélique Boudeville dont la voix de soprano s’élève au-dessus sans être poussée, ni sans effort apparent. Le charme qu’elle dégage trouve écho dans le caractère cristallin de sa voix, et la magie opère à chaque note qu’elle émet.
Enfin, le dernier mouvement, le finale de cette symphonie et de cette Ode à la Joie arrive en conclusion culminante. La reprise des thèmes précédents, le déchaînement des voix et des instruments mené ici tambour battant, délaissant toutefois la nuance mesurée maintenue jusqu’alors. La retenue n’est plus de rigueur et les valves s’ouvrent pour laisser aller les forces encore quelque peu contenues.
La grande force vocale demeure toutefois le chœur – formé des trois entités citées plus haut – qui se déverse avec toute son énergie. Si l’orchestre est le cœur battant de la soirée, l’ensemble des choristes, hommes et femmes, en est les poumons. S’activant au rythme de la partition, il s’amplifie ou s’amenuise selon le gré des notes qu’il sert.
« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots », écrivait un certain Alfred de Musset. La Neuvième Symphonie de Beethoven en est à jamais le parfait contre-exemple avec cette ode à la joie traversant l’espace et le temps loin de la beauté des larmes qui ont inspirées tant d’œuvres. Ici, c’est une grande inspiration, un espoir sans nom qu’offre le compositeur au monde, et que servent avec talent les artistes réunis par l’Opéra de Montpellier.
Elodie Martinez
(Montpellier, le 9 février 2024)
Ode à la Joie, à l'Opéra de Montpellier le 9 février
12 février 2024 | Imprimer
Commentaires (2)