Entre vendredi et ce soir, l’Opéra de Saint-Etienne met Jules Massenet – enfant du pays – à l’honneur avec son Don Quichotte encore injustement assez peu connu. Pour cette coproduction avec l’Opéra de Tours, la maison stéphanoise a fait appel à Louis Désiré à qui l’on doit déjà un magnifique Lohengrin en juin 2017 et qui renouvelle ici l’exploit du simple et beau travail esthétique autour de l’émotion de la partition.
Don Quichotte, Opéra de Saint-Etienne ; © Cyrille Cauvet
En effet, le travail est épuré : le sol est couvert de terre, appuyant l’idée des traces ineffaçables de nos pas, y compris dans le chemin de la vie, tandis que le lit de Don Quichotte restera omniprésent, bien que se déplaçant comme sur le chemin de la vie du héros, tour-à-tour simple lit, carrosse, lit de débauche pour Dulcinée, prison, lieu de plaisir ou de fin de vie... Un immense miroir brisé fera également son apparition, miroir dans lequel apparaîtra Dulcinée, projection du rêve de Don Quichotte et de ses amours. Les costumes de Diego Méndez Casariego et les lumières de Patrick Méeüs participent grandement à la réussite générale des tableaux proposés qui nous plongent dans la tête du héros. Les premières minutes nous immergent dans l’univers de la production : un brouahah produit par le chœur sort du rideau, lui-même tiré par deux comédiens tandis qu’un troisième fume au centre de la scène, terriblement intrigant. C’est à sa demande que le silence se fera pour laisser place à la musique. Ils seront quatre comédiens à ponctuer la soirée, torses nus, pâles, yeux masqués par un bandeau de la même couleur que le reste du visage, avec un bras peint en noir. Figures mystérieuses qui hantent Don Quichotte, elles participent à l’action sans véritablement y prendre part et, bien que leurs rôles soit assez insaisissables, ils n’en demeurent pas moins essentiels ici, notamment lors de la scène finale, à la mort du chevalier. Dulcinée arrive sur scène, tandis qu’ils sont présents, chacun avec une bougie, et lorsque la flamme de la vie s’éteint, ils fixent la femme avant de s’avancer, menaçant, et de la poursuivre en coulisses. Pendant ce temps, la lumière se fait sur la statuette de Don Quichotte – présente depuis le début et déplacée tout au long de l’aventure du vieil homme –, comme pour illustrer l’immortalité du héros chevaleresque. Enfin, le metteur en scène appuie sur la dimension christique du personnage.
Vincent Le Texier (Don Quichotte) et Marc Barrard (Sancho) © Margaux Klein
Lucie Roche (Dulcinée) entourée de ses amants © Cyrille Cauvet
Le rôle-titre est incarné avec force et fragilité par Vincent Le Texier, dont le jeu est épatant de bout en bout. Pétri de chevalerie, de noblesse, de crédulité ou bien d’optimisme aveugle en l’être humain, il offre à voir une folie de laquelle naît une empathie bienveillante. Attachant et terriblement crédible avec ses cheveux en bataille, on ne peut que souffrir en silence avec lui lorsqu’il reste brisé, éteint, émietté après le refus de Dulcinée. Vocalement, il met sa voix profonde au service de cet être fragile, n’appuie pas trop sur le vibrato, projette loin et clairement, et fait montre d’un travail précis sur la partition et le texte qu’il déclame avec une remarquable netteté. L’émotion nait aussi de sa relation avec son fidèle ami Sancho, ici sous les traits de Marc Barrard, fortement attaché à son maître qu’il appelle finalement « mon grand » dans cet air « Viens mon grand » rempli d’humanité. Leur duo est un beau moment, et l’on ne peut qu’admirer cet homme qui suit Don Quichotte partout, même dans ses délires, lui lave les pieds et reste à son chevet pour le moment fatidique. Il offre au personnage une voix chaude et lumineuse, parfaite pour réchauffer les cœurs. Quant à la Dulcinée de Lucie Roche, il est difficile de ne pas lui trouver un petit quelque chose de Carmen dans son apparition au milieu de ceux qui la réclament, sa séduction et sa manière de croquer la vie librement. La voix est profonde, chatoyante et mordorée, tandis que la chanteuse change de costume sur scène mais reste finalement souvent habillée d’un simple drap.
A leurs côtés, le quatuor des amants que forment Julie Mossay (Pedro), Violette Polchi (Garcias), Frédéric Cornille (Juan) et Camille Tresmontant (Rodriguez) remplit bien son rôle de moquerie, et laisse entendre un voluptueux Juan tandis que Rodriguez semble quelque peu fatigué. Enfin, le choeur de la maison se montre globalement homogène et complète ainsi la distribution.
L’œuvre est aussi admirablement servie par Jacques Lacombe qui tire de l’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire toute la modernité de la partition de Massenet où l’on entend le tourbillon de la folie, les troubles, mais aussi le soleil d’Espagne, la chevalerie, le vertueux, la débauche, une palette de couleurs incroyable, parfois même majestueuse. Le chef peint ainsi un tableau qui tient en haleine du début à la fin et fait regretter que cette musique ne soit pas plus entendue.
Pour reprendre les mots de Dulcinée à propos de Don Quichotte : « Peut-être est-il fou, mais c’est un fou sublime ». Un qualificatif qui résume finalement fort bien l’impression qui naît de cette production.
Elodie Martinez
(Saint-Etienne, le 2 février)
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