William Christie et Reinoud van Mechelen au festival de Menton : entre amen et alleluia

Xl_w.christie_les_arts_florissants_catherine_filliol-ville_de_menton-1048770 © Catherine Filliol – Ville de Menton

La grande majorité des festivals français a été contrainte d’abdiquer face à la pandémie et aux mesures sanitaires restrictives. D’autres ont néanmoins décidé de résister, comme le festival de Menton qui, après avoir envisagé diverses options, propose une édition remaniée, mais bel et bien présente au sein de la ville du sud toujours aussi magique et ensoleillée.

Ainsi que nous l’évoquions début juin, le festival a notamment fait appel cette année aux nouvelles technologies, comme des retransmissions en streaming ou en live, mais aussi et surtout un partenariat avec l’application NomadPlay qui offre de belles perspectives d’avenir. En effet, ce dispositif permet une écoute exceptionnelle sur environ 300 mètres : des capteurs sur le piano en transmettent le son dans les casques que portent les spectateurs, donnant à chacun la sensation d’être tout contre l’instrument. Une solution efficace à l'heure où les spectateurs doivent garder leur distance, mais qui permet aussi par exemple d'éviter la gêne éventuelle des riverains lors de concerts, ou qui pourrait rééquilibrer les places dans le public, promettant la même écoute des premiers aux derniers rangs. On pourrait également imaginer un travail avec ce dispositif pour des spectateurs qui ne seraient plus statiques, mais invités à déambuler dans des espaces, des œuvres matérialisées, des expositions, etc. En d’autres termes, le festival a su saisir ce qui a été pour certains une contrainte sans pareil pour en faire une nouvelle porte ouverte sur de nouvelles perspectives, et des possibilités de projets que l’on espère voir éclore au cours des éditions futures.


Reinoud van Mechelen/Arts Florissants ; © Catherine Filliol–Ville de Menton

Outre les nouvelles idées et solutions trouvées afin de palier à la crise tout en permettant une édition vivante, le festival de musique de Menton est également parvenu à maintenir certains concerts ouverts au public sur le fameux Parvis Saint-Michel Archange, avec sa vue unique et son espace ouvert sur la mer. Un public toutefois moins nombreux (distanciation physique oblige), pas forcément très respectueux du port du masque, et dont les applaudissements ne résonnent naturellement pas autant que lors des éditions précédentes. Mais un public néanmoins bel et bien présent, démontrant l’importance de ce genre d‘événement et de se retrouver face aux artistes sur scène -- un écran ne pouvant pas restituer toute la magie d'un tel instant. C’était notamment le cas samedi soir, avec William Christie à la tête de musiciens des Arts Florissants qui accompagnaient Reinoud van Mechelen dans un programme Campra, Couperin et Charpentier, mettant ainsi à l’honneur le répertoire baroque, naturellement présent dans le festival.

Le nombre d’artistes sur scène est ici réduit à cinq instrumentistes, aux côtés de William Christie qui, en plus de la direction, accompagne tantôt à l’orgue, tantôt au clavecin, ainsi que la haute-contre Reinoud van Mechelen. Celui-ci entame un peu timidement la soirée et un léger déséquilibre se fait sentir entre les instruments et la voix. Ponctuellement, certaines nuances des cordes seront avalées par l’orgue ou le clavecin, mais il ne s’agira que de très rares moments ressentis depuis notre emplacement. L’équilibre se rétablit rapidement, et l’on notera même un très bel équilibre des pupitres lors de la « Piémontaise » de Couperin, ainsi que de la « Françoise », toutes deux extraites des Nations. Ici, l’ensemble se montre en parfaite harmonie, entre tempi virevoltants et plus introspectifs, les instruments se répondant les uns aux autres. On se perd avec délectation dans ses notes légères et entrelacées qui viennent nous chercher à notre siège pour nous emmener presque en trottinant à la rencontre de notes plus nombreuses, tout aussi accueillantes.

Avant cela, nous serons passés par Insere Domine de Campra en ouverture de soirée, puis par le Salve Regina de Couperin. Pour ce second air, la ligne de chant de Reinoud van Mechelen semble partir de la terre pour s’élever vers les cieux en nous happant au passage dans son dialogue serein avec l’orgue et la viole de gambe. Un moment de grâce s’étendant de la première à la dernière note, d’autant plus apprécié que c’est par une pièce instrumentale – la première évoquée plus haut – qu’il est suivi, laissant son souvenir en mémoire. C’est ensuite au troisième compositeur de la soirée d’entrée en jeu, à savoir Charpentier, avec une suite d’œuvres qui s’enchaînent les unes aux autres, ne semblant parfois n’en former qu’une. Un trait d’union qui permet d’apprécier l’écriture musicale et les lignes mélodiques du compositeur, nous amenant à accepter l’idée de se laisser porter sans chercher à suivre le programme air par air. Accepter de se perdre pour mieux trouver la musique, grâce notamment à la voix de Reinoud van Mechelen à la fois solaire et ambrée selon la lumière musicale apportée. Une voix qui sait également porter l’allégresse de « l’alleluia » du Regina Caeli, comme si la joie du texte se prolongeait véritablement par ce chant. Difficile également ne de pas relever le très beau « Florete prata » qui clôt le programme, et qui fait référence à un « fiancé du Liban », une référence à l’écho particulier au regard de l’actualité des derniers jours.

Au final, c’est encore une fois une très belle soirée proposée par le festival dans son cadre exceptionnel, servant d’écrin parfaitement adapté, ouvert sur le ciel et la mer pour cette programmation dont la fin est marquée par une note joyeuse avec la reprise du Regina Caeli et ses nombreux « alleluia » qui, finalement, résument assez bien notre état d’esprit au sortir de ce récital (par ailleurs disponible sur YouTube).

Elodie Martinez
(Menton, le 10 août 2020)

©Catherine Filliol – Ville de Menton

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