Luigi Nono est sans doute l’un des compositeurs majeurs du XXème siècle. Né à Venise dans une famille aisée, il étudie la musique et le droit à Padua. Il poursuit ensuite son éducation en Allemagne où il devient l’ami d’Hans Werner Henze, de Karl Heinz Stockhausen et de Pierre Boulez, tous trois leaders de l’Avant-garde. Réputé pour sa forte orientation politique de gauche, l’influence de sa musique et son héritage sont énormes. Il expérimente notamment de nouvelles possibilités sonores et s’essaie à intégrer les nouveaux moyens techniques et instruments qui voient alors le jour, à l’Experimentalstudio SWF de Fribourg.
Prometeo est l’un de ses derniers chefs d’œuvre. Luigi Nono était revenu à l’opéra traditionnel, un drame mis en musique, alors qu’ici, l’œuvre est exempte de toute trame visuelle ou approche narrative à mettre en scène. Elle est écrite pour des chanteurs et instrumentistes solistes, un chœur, quelques groupes instrumentaux accompagnés d’instruments électroniques. Le livret, qui incorpore plusieurs fragments signés de plusieurs auteurs différents, s’émancipe de tout sens logique et de réel contenu. Sous-titrée « Tragédie de l’écoute », l’œuvre se compose d’une musique et de sons suspendus, ayant vocation à irradier dans l’espace. Pour sa première à Venise en 1984, l’architecte star Renzo Piano avait imaginé un bateau dans l’église de San Lorenzo pour optimiser l’expérience de l’écoute, un modèle que reprend le Théâtre de Lucerne pour cette production.
C’est le lieu le plus petit jamais utilisé pour présenter cet opéra très exigeant. A Lucerne, 80 musiciens jouent pour 250 spectateurs, pour 11 dates, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Benedikt von Peter, le nouveau directeur du Théâtre de Lucerne a fait construire une nouvelle structure dans cet ancien théâtre, qui attend sa rénovation depuis maintenant de nombreuses années. Basé sur la structure du Globe Theater de Shakespeare, les musiciens prennent place sur deux balcons qui entourent le rez-de-chaussée, là où le public est « installé ». Etre assis, allongé, debout, déambuler ou même boire sont autorisés durant le spectacle, et même incités. Des instructions sont distribuées à l’entrée et chacun doit retirer ses chaussures pour sauter dans de belles vieilles chaussettes de chalet suisse, qui donnent une sensation étrange avec les 30 et quelques degrés qui planent dans la salle. Mais cela fonctionne. Une fois installé et familiarisé avec cette situation déconcertante, le public est absorbé par cette musique sphérique, les lumières et les décors qui l’accompagnent, formant une étrange atmosphère in toto.
Des fragments de texte en rapport avec l’histoire mythique de Prométhée sont projetés sur les murs et le plafond, défilant sans cesse dans un flux sans fin. Tout comme la musique, qui place le spectateur dans un état de lenteur absolue, avec parfois un volume provocateur et une grande variété de changements. Clemens Heil, chef d’orchestre principal de la soirée, est accompagné de Matilda Hofmann pour guider les musiciens dans des gestes précis et avec concentration au travers de la partition. Ils sont très proches du public, abolissent toute distance au point de pouvoir croire parfois être soi-même membre de l’orchestre. Aussi moderne que soit la musique, elle est pleine de romantisme, de douceur et d’harmonie. La différence de son apportée par chaque instrument contribue grandement au l’atmosphère ainsi créée.
Les chanteurs solistes, et dans une plus large mesure les autres groupes d’instruments, sont mis à rude épreuve. Des notes extrêmement hautes, des phrasés rapides et toutes sortes de défis techniques exigent manifestement une très haute concentration et une technique vocale parfaite. Comme remarqué par Benedikt von Peter, l’ensemble de la performance et l’ambition de la soirée sont incroyables, à l’image de la prestation livrée par les différents ensembles, l’orchestre et par l’équipe du théâtre. Mais la très longue préparation et les immenses efforts finissent par payer, et cette brillante représentation en vaut l’investissement.
Cette production au Théâtre de Lucerne s’inscrit dans le Festival d’Eté de l’établissement, qui offre une fois encore un programme dense et varié de soirées de musique symphonique et de récitals en solo de grandes qualités. Daniel Barenboim a lui aussi fait le trajet, accompagné de sa Staatskapelle Berlin pour la soirée suivante. Il livre une fois encore une belle prestation au piano en jouant la Coronation KV 537 de Mozart, suivie du la 6ème Symphonie de Bruckner, dont le romantisme est par ailleurs retranscrit avec perfection, très détaillée dans l’interprétation avec des intervalles presque dansants, délivrés par les beaux vents et cordes de l’orchestre.
Traduction libre de la chronique en anglais d'Helmut Pitsch
19 septembre 2016 | Imprimer
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