Jules Massenet est sans doute l'un des plus grands représentants du Grand Opéra français. Ses opéras ont laissé un héritage remarquable, mais seuls quelques-uns ont réussi à se faire une place régulière au sein des programmations des opéras du monde. Thaïs, dont la première a vu le jour en 1894, fait partie de ces chefs d'oeuvre rarement présentés en version scénique, mais qui arrivent de temps à autres sous forme de concert sur les planches des théâtres. La partition, originellement composée pour l'Opéra-Comique à Paris, fut d'abord présentée à l'Opéra Garnier, et c'est là que l'oeuvre a été le plus souvent jouée.
Prenant place dans le désert égyptien et dans la citée d'Alexandrie, l'opéra repose sur la légende orientale de Thaïs, une belle et jeune courtisane qui offre ses services aux hommes fortunés. Son train de vie extravagant et sa vie amoureuse sulfureuse sont vus d'un mauvais oeil par la population, et plus particulièrement par l'Eglise romaine. Le frère Athanael dédie sa vie à essayer de la convertir et à la convaincre d'abandonner sa vie actuelle, cherchant à la guider vers l'abstinence pour qu'elle devienne une nonne. Il finit par réussir sa mission, mais dans le même temps, tombe amoureux de sa protégée et se retrouve pris au piège de son propre codex et de ses croyances. L'ensemble du livret est porté par la plus belle des musiques romantiques, douce et élégante, typiquement française. La partition enivre l'auditeur du parfum oriental de l'oeuvre, l'immerge dans la chaleur et les vents chauds du désert, soulignée par ses danses exotiques, comme pour mieux mettre en perspective les contradictions de la vie pure et religieuse du monastère.
Seul l'intermezzo du second acte est parvenu à asseoir une réelle popularité au fil du temps et est régulièrement joué dans les concerts, à l'image de la célèbre "Méditation de Thaïs" et son solo de violon. Le thème principal est présent tout au long de la soirée – et plus encore. L'oeuvre est particulièrement exigente pour les chanteurs. Pour la soprano Marina Rebeka qui remplaçait Sonya Yoncheva à la dernière minute dans le rôle-titre (pour une prise de rôle), c'est une nouvelle chance de montrer sa parfaite technique et son ample dimension vocale. Perçante et hystérique en courtisane arrogante, sa Thaïs se métamorphose progressivement en une soeur lyrique, chaleureuse et douce en quête d'immortalité. Placido Domingo est certainement la tête d'affiche de la soirée – manifestement toujours aussi présent dans le coeur de ses fans et toujours aussi soucieux de ne pas les décevoir. Il est incroyable de le voir ainsi prolonger sa carrière, explorer sans cesse de nouveaux rôles, et si sa voix marquée par l'âge manque parfois de polyvalence et de clarté, il possède toujours un timbre chaleureux très complet dans les médiums, et un son incomparable. Son expérience sur scène et son talent d'acteur viennent enrichir cette soirée non mise en scène. La parfaite interprétation de Benjamin Bernheim en Nicias, l'amant de Thaïs, complète la distribution principale. Sa voix dévoile puissance et nuances, d'un lyrisme essentiel et il s'impose comme un jeune vis à vis rafraichissant. Les membres de la promotion annuelle du projet des jeunes chanteurs de Salzbourg prouvent leur talent dans les seconds rôles et laissent percevoir, peut-être, les stars de demain.
Patrick Fourniller est un expert du répertoire français, et sa direction du Munich Rundfunkorchester le démontre. Particulièrement tendre et attentif aux tempi et au volume, il unifie ici avec magie les voix et les instruments. Il élabore les images musicales qui composent le livret et dirige les musiciens avec une grande exactitude, gardant toujours un oeil sur les chanteurs et l'Orchestre Philharmonique de Vienne, très bien préparé et intégré harmonieusement.
A la fin, le public est conquis et bondit de ses sièges pour une standing ovation, accompagnée de bravos, et martèle le sol de ses pieds. Leur affection nous amène au bis du finale par Marina Rebeka et Placido Domingo, un grand moment de joie pour l'ensemble des fans réunis ce soir.
Librement traduit de la chronique en anglais d'Helmut Pitsch
19 août 2016 | Imprimer
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