L’opéra de Munich poursuit son cycle de nouvelles productions d’opéras de Giuseppe Verdi. Après Il Trovatore, Rigoletto et La forza del destino, c’est au tour d’Un ballo in maschera d’être présenté dans une nouvelle mise en scène signée du jeune metteur en scène allemand Johannes Erath – qu’on a d’abord connu musicien talentueux, avant de le découvrir metteur en scène depuis peu, notamment aux côtés de Willy Decker et Peter Konwitschny.
Une fois n’est pas coutume, le livret de ce bel opéra de Verdi est plutôt simple et efficace. Johannes Erath en respecte le rythme rapide, et en dévoile l’histoire sans lenteur ni interruption, éludant néanmoins quelques détails du récit. Il transpose le contexte de l’œuvre et des scènes qui la composent dans l’élégant hall d’une maison luxueuse dont le style rappelle les années 1960 – un décor imaginé par Keike Scheele. Un gigantesque et magnifique escalier encercle la scène, tandis que de longs rideaux blancs transparents en symbolisent les murs. Tout concourt ici à donner à la scène une atmosphère entraînante et dansante, à l’image de quelque films hollywoodiens comme High Society de Charles Walters (1956), excepté peut-être l’immense lit noir planté en son centre, symbole de la tragique histoire d’amour centrale à l’œuvre et du lit mortuaire. Une double symbolique illustrée par l’ajout d’un alter ego à ce lit, cette fois fixé au plafond et quand bien même ce dernier n’est pas exploité dans la trame qui se joue sur scène. Un décor esthétique, symbolique et intelligent, donc, bien que l’on puisse regretter parfois le manque de logique et d’élaboration dont sa transformation fait l’objet au fil de la soirée.
Nombre de petites choses se jouent néanmoins sur scène sans pour autant servir l’intrigue, au risque de distraire le public de l’action et de susciter l’incompréhension. Et si les costumes, dessinés par Gesine Voellm dans un style art déco, sont élégants, ils s’avèrent sans grande inspiration – du début à la fin, les hommes arborent une redingote, quand Riccardo endosse ses habits de satin bleu, tout comme Ulrica en vamp blonde parée d’une élégante robe noire.
L’orchestre, quant à lui, dévoile davantage la profondeur et la complexité des personnages, tout autant que les conflits qui les habitent. De retour à Munich, Zubin Mehta est une fois encore ici le triomphateur de la soirée dans son rôle de chef. Et le public munichois ne s’y trompe pas, lui réservant un accueil particulièrement chaleureux. Il parvient à développer une image musicale du récit particulièrement inspirée. L'orchestre demeure souple et lumineux, créant ce petit supplément d'humanité qui suscite l'émotion. La valse, ce rythme perpétuel caché, est constante alors que le volume est maintenu bas, tandis que le drame est laissé aux bons soins des chanteurs.
Au travers d’une distribution méticuleusement sélectionnée, des interprètes de renom mettent leur voix et leurs talents aux services de la production. Piotr Beczala incarne un Comte distingué, à la fois gentleman et filou. Son ténor est doux, lyrique et coloré, mais parfois un peu faible dans les aigus. Il installe timidement les notes les plus hautes, puis s’ouvre peu à peu, pour finir par emplir la salle de son legato. Anja Harteros est très à son aise dans son rôle d’Amelia. Elle parvient, d’une voix ample, à enchainer les notes les plus basses et les plus hautes, et s’inscrit sans aucune difficulté dans les tons les plus élevés. Expressive et lyrique, elle s’approche de son épou joué par George Petean, qui, dans la plus grande peine au moment de ses derniers vœux, touche le public de son baryton chaleureux, désespéré et frustré par l’issue de l’action. Quant à Okka von der Damerau, elle déploie une voix magnifique, mais sans parvenir à pleinement coller au personnage de la mystérieuse Ulrica, telle que dépeinte par le livret – elle relève ici davantage d’une star de la haute société, aux allures glamour dans un hotel cinq étoiles.
C’est définitivement un plaisir d’assister à cette soirée, en acceptant de se détacher de l’histoire originale et des personnages tels qu'ils ont été imaginés par Giuseppe Verdi et Antonio Somma. À l'évidence, le public munichois s'est diverti et salue "ses" stars ayant une fois de plus répondu à ses attentes, achevant la représentation par une ovation offerte à Zubin Mehta et aux chanteurs, se montrant néanmoins un peu plus réservé à l'égard du metteur en scène et de son équipe.
Librement traduit de la chronique en anglais d'Helmut Pitsch
16 mars 2016 | Imprimer
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