Festival de Salzbourg : une réécriture audacieuse de Titus, qui condamne la guerre par la terreur

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Dans la nouvelle production de La Clémence de Titus de Peter Sellars, dès que Sesto dit traditor (« traitre ») dans son final du premier acte recitativo accompagnato, les surtitres affichent « terroriste ». On pourrait y voir un détail insignifiant, et pourtant c’est significatif de la réécriture audacieuse opérée par Peter Sellars et Teodor Currentzis de l’opéra de Mozart. La trahison de Sesto est personnelle, un crime à l’encontre de son ami et figure paternelle Tito. Le terrorisme est général – son but est de créer la peur parmi les masses.

Peter Sellars a voulu que sa Clemenza di Tito soit éminemment politique et le mélodrame interpersonnel de l’œuvre en est la première victime. La plupart des récitatifs ont été supprimés, dont ceux qui fondent la relation entre Vitellia et Sesto, tout comme l’intégralité des échanges les plus culminants de Sesto et Tito du second acte (de même que l’intime et pathétique trio « Quello di Tito èil volto »). En lieu et place, les chœurs de la Messe en Do Mineure (K 427/417a) de Mozart sont intégrés à la partition pour souligner l’impact collectif de l’évènement opératique. La générosité de Tito est saluée avec le Benedictus et Hosanna, sa fusillade est pleurée avec la Kyrie, et sa clémence est implorée avec le « Qui tollis peccata mundi ». Les chœurs répondent à sa mort à la fin de l’opéra avec la Marche funèbre maçonnique en Do Mineur (K 477/479a).


La Clemenza di Tito (2017), Russel Thomas, Marianne Crebassa
(c) Ruth Walz



La Clemenza di Tito (2017), Marianne Crebassa, Russell Thomas
(c) Ruth Walz

Le message politique de la mise en scène est moderne. Tito est à la tête d’un gouvernement (majoritairement noir) qui entretient des relations houleuses avec le public (majoritairement blanc et musulman). Sa bien-aimée Bérénice, qu’il doit éloigner pour s’assurer le soutien populaire, porte le voile (la raison pour laquelle il ne peut épouser une musulmane n’est pas claire) ; son mariage avec Servilia est aussi interracial dans le casting. Quand Vitellia incite Sesto à assassiner Tito, il le fait en joignant une cellule terroriste. Bien qu’il finisse par tirer sur Tito avec une arme à feu, il part en mission en portant une veste d’explosifs et son complice fait sauter le Capitole. Dans une modification du livret de Metastasio, Sesto attaque la bonne personne : il blesse mortellement Tito, qui chante alors le second acte de l’opéra depuis un lit d’hôpital.

Les ensembles et les chœurs présentent une gestuelle parfaitement synchronisée et stylisée : levant les bras au ciel, s’étreignant le cœur, tombant au sol (et il y a beaucoup d’angoissés se roulant par terre). Le choix de Peter Sellars d’éviter le naturel sert bien son propos : rien de tout ceci n’a à voir avec les individus et leurs conflits personnels, et tout fait écho à la société dans son ensemble.

Dans la mesure où ces choix radicaux, tant musicaux que dans la mise en scène, servent un propos plus large, on se doit de les respecter. Pour autant, il y a aussi des faux-pas. Le « Laudamus te » de Servilia dans la messe en Do mineur (en réponse à l’approbation de Tito pour sa relation avec Annio) ne ralentit qu’à peine la cadence du drame. Mais l’Adagio et Fugue en Do mineur (K546) est bien trop long pour la mise en scène qui les accompagne : Sesto et son complice s’arment en vitesse pour leur attaque, puis attendent passivement la fin de la musique. Le manque de foi de Peter Sellars dans les récitatifs (« le poids mort et la monotonie musicale de l’axe Metastasio/Süssmayr tue pratiquement l’opéra » écrit-il dans les notes du programme) est renforcé par le débit poussif du peu qu’il reste des récitatifs. Les surtitres qui ne correspondent pas à ce qui est chanté (offrant à la place des mots plus proches du concept scénique) heurtent le spectateur, tout comme les changements récitatifs mineurs (tout particulièrement celui qui casse le dernier couplet en rime de Tito).


La Clemenza di Tito (2017), Marianne Crebassa, Florian Schuele
(c) Ruth Walz

Même si ces choix exposés dans cette critique peuvent horrifier le lecteur, ce Tito mérite néanmoins d’être vu pour la qualité de sa distribution. La mezzo-soprano Marianne Crebassa chante Sesto d’une voix capable de tonalites aussi douces que gainées de fer.  Le doux legato et les impeccables triolets super-rapides ont illuminé le « Deh, per questo istante solo » et  le « Parto, parto ». Le mérite de « Parto, parto » revient aussi au soliste clarinettiste Florian Schuele : il joue non seulement sa délicate partie avec une formidable sonorité (en ajoutant des ornements en miroir à celle de Marianne Crebassa), mais il le fait tout en se faufilant parmi les éléments du décor, s’allongeant au sol et en étant malmené par Sesto. Vitellia n’est pas sur scène : toute l’angoisse et les supplications de Sesto sont dirigées sur Florian Schuele, qui se révèle être un excellent acteur et partenaire.

Dans le rôle de Vitellia, Golda Schultz chante d’une voix ronde et sonore. Ses notes érayées les plus basses du « Non Piu di fiori » se perdent certes dans l’accompagnement, mais ce n’est qu’un détail au regard de sa facilité dans les gammes moyennes et hautes. Golda Schultz rend la rage et le remord de Vitellia palpable, alors qu’elle arrache et jette les fleurs et photos depuis la vigie pour Tito. Le chœur « Che del ciel, che degli dei » lui est destiné autant qu’à Tito, et elle réagit en ramenant l’horreur à la place de l’adoration déplacée de la foule.

La soprano Christina Gansch chante Servilia d’une voix claire et légère avec une colorature précise ; la seule excuse à l’inclusion du « Laudamus te » a été qu’il nous aura laissé l’entendre davantage (dans une musique qui lui allait mieux que le trop aérien « Se altro che lagrime »). La soprano Jeanine de Bique est un choix surprenant pour Annio (habituellement confiée à une mezzo), mais qui s’avère efficace. Sa tonalité est richement colorée à travers toutes ses gammes moyennes et s’envole sur les ornements stratosphériques du « Tu fosti tradito ». Sir Willard White interprète un Publio rauque et explosif. Le ténor de Russell Thomas est énorme pour la partie de Tito, mais étonnamment maniable en dépit de son envergure. Mais alors que sa voix colle bien au rôle, son poids dessert cette idée voulant qu’il soit mourant durant la moitié de l’opéra. Le musicAeterna Choir of Perm Opera a su créer un son complexe et évolutif dans tous les chœurs, à la fois ceux de l’opéra et ceux qui y sont ajoutés.

La direction du musicAeterna of Perm Opera par Teodor Currentzis est à la fois dramatique et jouissive.  Les tempi sont extrêmes, d’une ouverture effrénée aux interprétations rampantes des chœurs « Ah, grazie si rendano » et « Che del ciel, che degli dei ». Teodor Currentzis s’abandonne avec délice dans les ritards et les pauses. La longueur des appogiatures dans « Ah, perdona al primo affetto » frisaient le mauvais goût et le « Parto, parto » a compté de longs et nombreux silences... Mais ces choix si osés permettent de générer un formidable effet dramatique dans un premier temps, avant néanmoins de perdre de leur puissance du fait de leur répétitions. Teodor Currentzis est aussi vraisemblablement responsable des très lourds ornements de tous les arias et duos. Et ce choix se révèle convaincant grâce à une distribution pleine de voix souples et d’ornements tendant à renforcer les émotions de la pièce, plutôt que de simplement faire la démonstration des compétences vocales des chanteurs.

La version de Tito de Sellars et Currentzis raconte une histoire captivante et amène au dialogue et à la compassion en réponse à la violence. Se faisant, elle perd néanmoins l’élan dramatique spécifique qui fait du Tito de Mozart mon opéra préféré. J’ai malgré tout immensément apprécié la musique, la mise en scène et les performances des interprètes. Elles en font juste un Tito diffèrent – et le Tito de Mozart est celui dont je reste amoureuse.

Ilana Walder-Biesanz

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