Sans surprise, avant la représentation, nombreux étaient ceux à chercher à une place devant le théâtre de Zurich – en vain. Mission impossible quand c’est Anna Netrebko qui chante (quand bien même l’honnêteté oblige à signaler que des jeunes gens distribuaient aussi des tracts contre la diva, du fait de son soutien à M. Putin dans le cadre du conflit ukrainien).
Mais on ne peut pas proposer l’opéra de Donizetti, si difficile, en n’affichant que de grands noms. La distribution était néanmoins prestigieuse et sur le front du casting féminin, le résultat était incontestablement à la hauteur du défi (même si l’on continue à trop utiliser les ciseaux dans la partition – elle est certes longue, mais on peut sans doute affirmer sans l’ombre d’un doute qu’après soixante ans de retour dans le répertoire, personne n’oserait procéder à de telles coupes si l’auteur était quiconque d’autres que le Bergamasque).
Judit Schmid s’est quoiqu’il en soit parfaitement accommodée de ce qui restait de la partition du malheureux page Smeton. Mais la surprise, pour ceux qui ne la connaissaient pas encore suffisamment, est venue de la superbe Seymour de Veronica Simeoni – incontestablement royale dans l’ensemble de ses interventions (les récitatifs notamment, étaient exemplaires) et particulièrement dans ses deux principaux duos (avec le Roi puis Boleyn), mais aussi, bien sûr, dans son grand air et la cabaletta dans sa dernière scène (« Per questa fiamma indomita »), malgré un costume et une coiffe qui semblaient plus adéquats à la courtisane des Contes d’Hoffmann.
Anna Netrebko, pour sa part, se trouve assurément au sommet de sa carrière. Je n’ai jamais entendu Bolena portée par une voix si belle : puissante et solide, homogène dans toute la gamme, tant vaillante dans les aigus (au point de même en ajouter un à la fin de la merveilleuse mélodie de son dernier air, « Al dolce guidami castel natío », peut-être pas du meilleur goût mais qui a su emporter l’adhésion du public), avec des pianissimi extraordinaires (mais sans en abuser) et une interprétation scénique passionnée voire supérieure – s’il est possible ou croyable – à ses antérieures incarnations du rôle (que ce soit à Vienne ou au Met de New York).
Côté messieurs, force est de constater qu’on n’atteignait sans doute pas le même degré de perfection. Luca Pisaroni est un excellent chanteur et artiste mais sa voix est trop claire et manque manifestement d’un registre grave puissant. De plus, le costume moderne (celui d’un « gros chef » aux allures de mafieux) privait son roi d’une véritable autorité.
Ismael Jordi montre une très belle voix et chante assurément bien, mais je le crois plus dans son registre dans d’autres emplois (même quand il s’agit de Donizetti – je me souviens avec beaucoup de plaisir de ses performances dans Lucrezia Borgia, Le Duc d’Albe et Linda de Chamounix). Percy semble un rôle très (et même trop) tendu pour lui – son duo avec Anna Netrebko puis le trio avec Anna et le Roi étaient sans doute ses plus beaux moments, tout comme ce dernier était aussi le plus réussi de Pisaroni.
La basse Ruben Drole (Rochefort, frère d’Anna) apparait aussi comme une belle surprise, nous offrant des moyens somptueux (surtout dans les graves), tandis que Yujoong Kim interprétait très correctement les phrases du perfide Hervey.
La prestation des chœurs (préparés par Jürg Hämmerli) et de l’orchestre du Théâtre affichaient à un très haut niveau d’exécution – Andriy Yurkevych se montrait très alerte dans sa direction, mais aussi dans la coordination de l’ensemble de la performance (et ce second aspect n’est sans doute pas suffisamment porté au crédit du chef), se montrant toujours très vigilant et sans jamais perdre la scène de vue.
La production de Giancarlo del Monaco ne compte pas parmi ses meilleures réalisations. Non seulement la modernisation de l’œuvre s’y révèle peu heureuse, mais surtout, cette idée de présenter sur scène presqu’en permanence la future reine Elizabeth I (dès même l’ouverture, où elle joue encore avec une poupée) s’avère finalement énervante : Zoe Lagutaine suivait sans doute les indications du metteur en scène, mais en plus d’être bien plus âgée que l’Elizabeth historique à l’époque de la mort de sa mère, elle croise sans cesse le couple adultère (Seymour - Enrico) dans des rencontres censément secrètes, la faisant enrager et la poussant finalement à décapiter ladite poupée – tendance de famille oblige – pendant l’air de Seymour. Puis dans la dernière scène, elle est chargée de couper les cheveux de sa mère et disparait simplement...
L’architecture de la scène interroge également : les chœurs chantent presque toujours aux côtés de la scène, comme s’il s’agissait de spectateurs (façon XIXè siècle) dans la loge d’un théâtre ; la scène unique du premier acte – conçue sans doute pour permettre un changement rapide – situe par ailleurs la chambre privée d’Anna à l’extérieur, plantée d’un arbre en son centre (où le pauvre Smeton cherchait inutilement de se cacher) ; et pour compliquer encore la mise en scène, les voix des autres condamnés dans la scène finale se faisaient entendre des coulisses comme si elles faisaient partie de la folie d’Anne Boleyn... Une mise en scène qui suscite un certain scepticisme, mais la musique et ses interprètes, pourtant, emportaient la soirée haut-la-main.
Jorge Binaghi
Crédit photo : Monika Rittershaus
06 avril 2015 | Imprimer
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