Maria Stuarda, soprano ou mezzo ? La réponse à cette question (telle qu’elle se pose souvent pour un opéra bel canto) dépend presque toujours de la chanteuse. À Barcelone, nous avons toujours entendu – jusqu’à aujourd’hui – la version pour soprano, la plus répandue, mais la voix de la Malibran n’était pas celle de Ronzi de Begnis (et c’était la Malibran qui incarnait le rôle-titre de la première à Milan en 1835, et la première aussi à porter le vrai titre de Maria Stuarda, et non le nom Buondelmonte de la création napolitaine un an plus tôt). Et comme Joyce DiDonato n’est ni l’équivalent de Caballé, ni de Gruberova, mais comme il est extrêmement difficile d’envisager une autre mezzo capable de chanter la plupart des nombreuses représentations prévues (onze en moins de trois semaines !), on a pu cette fois entendre les deux versions, en alternance avec Majella Cullagh dans la distribution alternative.
La version pour soprano semble être la solution la plus naturelle, et Majella Cullagh est une très bonne chanteuse d’un point de vue technique, stylistique et même de l’articulation (l’éditeur Opera Rara a sans doute fait une erreur en optant pour d’autres sopranos dans ses récents enregistrements), et une actrice très correcte qui a un vrai sens du phrasé. Mais... Di Donato est presque miraculeuse : elle réussit à éclaircir son timbre dans les aigus et les ‘messe di voce’ tandis que dans le médium et les graves, elle a même recours à son coffre (sans pour autant poitriner). Son trille et ses ornementations sont d’une très rare qualité, l’intensité des récitatifs est bouleversante, son italien parfait. L’air de sortie ‘O nube che lieve’, et toute la scène finale (celle que Donizetti appelait « l’air du supplice ») imposait au public un silence quasi-religieux. Certains, bien sûr, auraient aimé les ‘cabalette’ couronnées d’un très long suraigu (chose impossible, non seulement à cause du registre de l’artiste mais surtout de son approche au rôle). Pour le soussigné, le moment le plus émouvant de la soirée se trouvait à mon avis dans le duo avec Talbot ‘Quando di luce rosea’, inoubliable.
Javier Camarena démontrait qu’un rôle difficile et ingrat (Leicester) n’est pas un obstacle pour un chanteur de grande classe. D’autant qu’il devait remplacer au pied levé son collègue malade dans la deuxième distribution et a ainsi chanté deux soirées consécutives avec le même éclat (et le même succès – très mérité, cela va sans dire).
Pour Elisabetta on devrait aussi s’interroger sur la tessiture, tout comme pour Maria. Si le rôle-titre est une mezzo, mieux vaudrait choisir une soprano ou au moins une soprano Falcon pour sa rivale. Silvia Tro Santafé chante bien mais les aigus deviennent forcément tendus et pour le reste, même s’il s’agit d’une belle artiste et musicienne, on remarque que peut-être le belcanto n’est pas (ou pas encore) le répertoire qui lui convient le mieux. Néanmoins, Marianna Pizzolato, avec une interprétation ‘à la Bette Davis’, malgré un aigu parfois métallique et un regard restant manifestement médusé sur la baguette du chef, semblait plus à son aise.
Michele Pertusi a peut-être aujourd’hui trop d’une basse pour Talbot (qu’il avait déjà chanté ici-même en 1991 !), mais quelle joie de voir et d’entendre sa classe dans chaque phrase, même la plus banale. Mirco Palazzi s’y montrait très correct sans pourtant afficher l’autorité suprême de son collègue.
Pour incarner le ‘méchant’ (Cecil), le Liceu a pensé à l’excellent Vito Priante et au trop véhément (et par la voix et par la gesticulation) Àlex Sanmartí. Anna Tobella assurait les quelques phrases d’Anna Kennedy.
Les choeurs (préparés par Peter Burian) étaient simplement superbes et leur grande scène au dernier acte méritait amplement les applaudissements qui l’ont saluée. Bravo pour Peter Burian, leur chef. L’orchestre sonnait parfois fort (c’était notamment le cas de la célèbre prière finale) faisant pourtant bonne impression grâce au chef Maurizio Benini, d’une grande efficacité, dans l’une de ses meilleures soirées.
Par malheur, la mise en scène (en coproduction avec Londres, Paris et Varsovie) de Patrice Caurier et Moshe Leiser, était incohérente (les reines portaient costumes d’époque, le reste du plateau et des chœurs étant habillés dans un style inspiré de la dernière partie du siècle passé), avec en plus des indications farfelues (presque chaque personnage a bu un whisky tôt ou tard, sans aucune raison – le seul peut-être a en avoir le droit étant le bourreau). Et si le moment de l’exécution devait peut-être dénoncer la peine de mort, la maladresse de la réalisation empêchait d’atteindre l’objectif.
Jorge Binaghi
05 janvier 2015 | Imprimer
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