On est loin ici du livre d’images traditionnel de Carmen, mais bien davantage dans l’histoire d’une femme luttant pour la liberté et l’égalité. Tel est le propos du metteur en scène Hugo de Ana, rappelé dans le programme de la soirée, pour sa nouvelle mise en scène de Carmen de Georges Bizet, dans le cadre du festival des Arènes de Vérone. Le metteur en scène argentin, connu notamment pour être son propre décorateur, nous transporte ici dans des paysages très réalistes, mais peu esthétiques, et transpose l’œuvre dans les années 1930, pendant la guerre civile espagnole. Et c’est saisissant.
Le contraste est saisissant entre d’une part l’équipement miteux qui parsème la scène, fait de casses de bois, de vieux camions et de bric-à-brac, et d’autre part le cadre somptueux des Arènes. Dans le deuxième acte, une pléthore d'affiches et de fauteuils s’ajoutent au décor pour ensuite devenir partie intégrante de l’action, alors que dans le troisième acte, une frontière et des clôtures feront leur entrée face à une foule qui rappelle douloureusement le flot actuel de réfugiés. Et il faudra attendre le dernier acte pour que la scène redevienne finalement une arène.
Si le décor s’avère plutôt décevant en ce sens qu’il exploite peu le cadre des Arènes, la gestion des lumières et des projections sont fascinantes – figurant des effets d’architectures typiquement espagnols jetés sur les gradins de l’amphithéâtre. Avec une vitalité croissante, Hugo de Ana conduit les masses vers une scène finale dont le point d’orgue sera un meurtre poignant.
Anna Goryachova interprète d’abord une Carmen courageuse, mais déployant peu de tension érotique, avant de se libérer et de proposer une prestation musicale davantage fougueuse, mâtiné d’un tempérament plus juvénile. À ses côtés, le Don José de Brian Jagde fait montre une belle projection, déployant des aigus puissants, mais aussi une voix moyenne au timbre tout particulier. Mariangela Sicilia est une Micaela sensible, quand Alexander Vinogradov chante Escamillo avec brio. Et les chœurs comme les rôles secondaires se révèlent parfaitement efficaces dans leur partie.
Animé et passionné comme l’impose l’œuvre de Bizet, l'orchestre des Arènes de Vérone se produit sous la direction de Francesco Ivan Ciampa. Pour autant, le chef ne parvient pas toujours à maintenir la cohésion entre la scène et la fosse.
Toujours dans le cadre du festival des Arènes de Vérone, la reprise d’Aïda impose une approche différente. Entourée de sculptures de divinités égyptiennes et de créatures mythiques, illuminée de l’intérieur et tournant sur elle-même, cette impressionnante et gigantesque pyramide constituée de fines lamelles d’or qui trône dans la partie centrale de l’immense scène des Arènes de Vérone donne le ton derechef. Donnée chaque année dans le cadre du festival des Arènes et que les spectateurs connaissent bien maintenant depuis 2001, cette reprise d’Aïda, dont Franco Zeffirelli signe la mise en scène et la scénographie, se révèle superbe. En utilisant l’intégralité de la scène et des gradins de pierre du théâtre antique, le vieux maître embarque le public dans une promenade magnifique à travers l’histoire, portée par des éclairages merveilleux. Exubérance et beauté se mêlent dans un tableau splendide, sans (presque) jamais sombrer dans le kitsch, sans cesse à la recherche de l’incomparable pour fasciner l’ensemble du public, année après année.
Le point culminant ? Sans doute la marche triomphale de l’opéra de Verdi, alors que la scène est plongée dans l’obscurité.
Dans le rôle-titre, Anna Pirozzi est captivante avec ses attaques dramatiques et ses piani d’une rare sensibilité. Yusif Eyvazov dans le rôle de Radamès démontre toute sa puissance dans les aigus, même si sa voix moyenne pêche encore, pour un résultat en demi-teinte. La voix de Luca Salsi, en Amonasro, est puissante et bien projetée, parfaitement adaptée aux dimensions démesurées des Arènes de Vérone. Violeta Urmana chante le rôle d’Amneris avec un timbre très mature, alors que Vitalij Kowaljow (en Ramfis) déploie une voix d’une grande noblesse. Enfin, le jeune Romano dal Zovo, dans le rôle du Roi, se révèle néanmoins plutôt insignifiant.
Sur le pupitre, le chef espagnol Jordi Bernacèr dirige l'orchestre des Arènes de Vérone avec des gestes amples et précis, le rendant pour le moins excitant, mais parfois en léger décalage avec la scène.
Le public réserve des tonnerres d’applaudissement pour les deux représentations.
traduction libre de chronique allemande d'Helmut Mayer
10 juillet 2018 | Imprimer
Commentaires