À nouveau, c'était manifestement sa soirée. Sa réputation est aussi controversée que sa direction d'orchestre est appréciée, mais lorsque Christian Thielemann et Richard Wagner figurent au programme, il faut s'attendre à une salle comble et la règle est respectée pour Tristan et Isolde à Dresde – qui plus est avec une distribution d’interprètes de premier plan. Et à plus d’un titre, ce fut une soirée d'exception, une expérience lyrique que les chanceux ayant réussi à obtenir un billet ne sont pas près d'oublier.
La mise en scène et les décors de Marco Arturo Marelli sont d'une esthétique contemporaine mais qui sied parfaitement au répertoire, soulignés par les éclairages élégants de Friedewalt Degen. L'action se déroule sur une plateforme centrale carrée et inclinée, dont les parois s'ouvrent comme autant de volets ou de portes, tantôt pour masquer ou laisser entrer la lumière du jour. De même, un rideau transparent façonne les contours d’un cube qui densifie l'action. Les interprètes sont statistiques, animés par une direction d’acteurs qui laisse peu de place aux éclats d'émotions ou dramatiques. Les costumes de Dagmar Niefind Marelli sont unis et d’inspiration japonisante, dans des couleurs sourdes.
Une scénographie neutre, donc, qui place la réalisation musicale au cœur de l’attention et c’est au mieux. C’est heureux, les préludes ne sont pas mis en scène et, lorsque les rideaux sont fermés, la musique peut se déployer dans toute sa splendeur. Christian Thielemann mise d’abord sur un son discret et limpide, les cordes semblent planer. L'accord marquant de Tristan remplit l'espace d'une nostalgie élégiaque et embarque littéralement l'auditoire dans les niveaux de sentiments psychiques du célèbre couple d'amoureux. Thielemann exige concentration et précision de la part de ses musiciens : la tension est perceptible dans l'alternance parfaite du volume sonore et de la tonalité la plus claire.
Le premier acte est diaphane et porte les chanteurs au meilleur de l’intelligibilité des mots et d’une interprétation expressive. Camilla Nylund est une Isolde lyrique, portant de délicates notes rayonnantes émises sans effort apparent. Klaus Florian Vogt fait ses débuts tant attendus dans le rôle de Tristan avec son aplomb habituel. Son ténor fin au timbre clair acquiert de plus en plus de couleurs et de nuances, les notes perlent, claires et sûres. Chez l’un comme l’autre, la diction est exemplaire et revêt une touche créative. De plus, Thielemann fait intervenir l'orchestre avec précision, délibérément puissante dans les interludes. Tanja Ariane Baumgartner remplace Christa Mayer, malade, et campe une Brangäne tantôt dans le drame, tantôt en servante respectueuse.
Le deuxième acte est empreint d'un romantisme exacerbé, que le chef et l'orchestre célèbrent en une farandole de couleurs de la plus belle des fantaisies. Le couple d'amoureux est pris d'une merveilleuse frénésie amoureuse, même si la mise en scène les tient le plus souvent éloignés l’un de l’autre. Le monologue empreint d’émotion du roi Marke devant la trahison de Tristan est le point culminant de l’acte : une fois de plus, Georg Zeppenfeld séduit par son chant parfait, auquel il parvient à insuffler ses sentiments. Chaque note est juste, jusque dans les silences, et il intensifie le niveau émotionnel pour passer de l'exaltation à la tristesse – avant que le public ne l'applaudisse chaleureusement.
Dans le troisième acte, Klaus Florian Vogt fait montre de son incroyable endurance et de l’intelligence de son interprétation du rôle. Son monologue demeure limpide et plein d’assurance, sans laisser paraitre le moindre effort jusqu’à la dernière note – la folie, la nostalgie, la douleur et l’émotivité, tout est en place. Martin Ganter y oppose un ami fidèle et sobre dans le rôle de Kurwenal. Camilla Nylund conclut l'opéra par une Liebestod intime, sereine et émouvante, que l'orchestre sait accompagner en musique avec un grand souci du détail.
On a rarement vu un public aussi ému : au terme de chaque acte, la salle reste silencieuse un long moment avant que quelques applaudissements ne se fassent entendre discrètement puis se transforment en une tempête d’enthousiasme. À la fin de la soirée, le public offre de longs et bruyants applaudissements à l’ensemble de l’équipe artistique.
traduction libre de la chronique en allemand de Helmut Pitsch
Dresde, 25 janvier 2024
Tristan et Isolde au Semperoper de Dresde, jusqu'au 3 février 2024
28 janvier 2024 | Imprimer
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