Ses débuts étaient attendus à Vérone avec enthousiasme et accompagné par l’habituel battage médiatique : la prima donna assoluta Anna Netrebko s'annonce dans la plus célèbre arène dévolue à l’art lyrique, sur l’une des plus grandes scènes, et dans le cadre de l’un des festivals d’opéras parmi les plus populaires. Vérone est traditionnellement un pur spectacle. Ici, il faut de l'action sur scène, une débauche d’effets, des animaux – idéalement des éléphants, comme dans le cadre des représentations légendaires d'Aïda. Les plus grands interprètes se produisent ici depuis plus d'un siècle (la première saison remonte à 1913) et désormais, on peut aussi y voir et entendre la grande star Anna Netrebko, en compagnie de son mari Yusif Eyvazov, dans la reprise de la production d’Il Trovatore créée en 2001 par Franco Zeffirelli.
Il Trovatore (c) Arena di Verona 2019
Un château-fort surmonté de trois tours est installé sur scène. Des drapeaux colorés claquent au vent et une armée de chevaliers est en marche. Rares sont ceux à pouvoir rivaliser avec Franco Zeffirelli, décédé en juin dernier, en matière de mise en espace et de gestion des foules sur scène. Il avait ce talent unique pour appréhender les espaces en trois dimensions, pour en souligner l'esthétique et les mettre en mouvement. Si l’on considère traditionnellement son travail comme très conventionnel (sans doute à raison), il avait néanmoins ce talent pour sublimer les décors et les costumes, et faire en sorte qu’une scène prenne vie. Ici, des chevaux, des chevaliers en armures, et de nombreuses gitanes évoluent sur scène comme autant de touches de couleurs. Et quand l’imposante tour de garde s’ouvre, pour prendre des allures de cathédrale, le public en reste stupéfait.
Dans le rôle de Ferrando, d’une voix claire et expressive, Riccardo Fassi esquisse la tragédie familiale des Lunas, évoquant ce récit d’une sorcière condamnée au bûcher et de l’enlèvement d’un enfant qu'on croyait mort. Dans le rôle du comte Luna, Luca Salsi confesse sa vénération pour Leonora et sa jalousie envers ce Trouvère inconnu qui lui a ravi son cœur. Luca Salsi est un comte très en verve, fort et déterminé. Son baryton est profond, son timbre chaleureux, sans être sombre. Tantôt romantique, il nappe ses lignes mélodiques, articule doucement sa ligne de chant. Il pose les aigus avec précaution et déploie sa voix progressivement, avec assurance.
Il Trovatore (c) Arena di Verona 2019
Et puis « Anna » Netrebko apparaît sur scène, dos au public. Le temps des premières notes, elle semble s’adapter à l’environnement très particulier de l’arène. Elle débute la soirée avec précaution, doucement, soigneusement. Puis rapidement, elle rayonne d'assurance. Dans les graves, elle sait encore chanter de manière claire et harmonieuse, elle dessine des lignes mélodiques toutes en nuances, là où certains interprètes se perdent souvent dans l'indéfini. Son soprano, toujours aussi clair et assuré, monte dans les aigus, puis se fait plus sombre dans une approche davantage dramatique. Dans le quatrième acte, elle déploie sa puissance vocale, elle chante son destin et son amour pour Manrico, son propre sacrifice pour sauver la vie de celui qu'elle aime au détriment de la sienne. De façon subtile, elle affine chaque note, à chaque phrase et chaque saut, les vocalises s’enchainent de façon claire et fluide, et les explosions émotionnelles surgissent naturellement. Le public est interdit et captivé par la diva, qui, pour autant, ne concède pas le bis qu'il lui réclame. Dans le rôle-titre sur scène (et son époux à la vie), Yusif Eyvazov est à nouveau à ses côtés. Au cours des dernières années, le ténor a amélioré sa technique de chant et ses compétences linguistiques. La force et le volume sont suffisants, l’assurance dans les aigus et la largeur de la voix centrale le sont également. On n’en dira pas tout à fait autant de la diversité des couleurs, et des mélodies qui se dessinent doucement. De son côté, Dolora Zajick incarne une gitane Azucena sombre et racée, qui venge la mort de sa mère.
Dans l’immense fosse d'orchestre, Pier Giorgio Morandi dirige l'orchestre de l'arène avec calme, par petits gestes. Et peut-être trop calmement, un peu plus d'élan et un engagement clair auraient sans doute davantage soutenu la tension dramatique de l’œuvre. Le son de l'orchestre reste fluide, et les chanteurs sont accompagnés avec soin. En fin de soirée, une marée d’écrans de téléphones portables accompagne les applaudissements avec moult bravi et applaudissements pour Anna Netrebko qui semble visiblement émue, éperdue et sereine.
traduction libre de la chronique allemande d'Helmut Pitsch
(Vérone, 29 juin 2019)
Cette production du Trouvère, de Verdi, donnée aux Arènes de Vérone, a fait l'objet d'une captation et sera rediffusée sur France 5 le samedi 20 juillet à partir de 22h30.
19 juillet 2019 | Imprimer
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