Une lecture renouvelée d'Aïda à la Bayerische Staatsoper, empreinte de tristesse

Xl_aida_bayerische-staatsoper_2024_j.kaufmann_c_w.hoesl_001 © Winfried Hösl

L’horreur et la souffrance sont omniprésentes dans chacun des interstices de cette production d’Aida créée en 2023 et reprise actuellement au Théâtre national de Munich. Damiano Michieletto y touche le nerf des tourments de la guerre : dans sa mise en scène, des images telles que celles qui nous parviennent quotidiennement d'Ukraine sont transposées de façon crue et réaliste sur scène, parfois complétées de vidéos en grand format. Il n’est plus question ici de la splendeur de l'Égypte, le metteur en scène met l’emphase sur les conséquences du conflit avec son voisin éthiopien. Dans un décor aux allures de gymnase bombardé, les populations déplacées se rassemblent autour de distributions de nourritures ou pour célébrer ses soldats héroïques. Le lieu et les costumes sont modernes et occidentaux, sans lien avec le livret.

Lors de la création, cette mise en scène avait été diversement accueillie et avait suscité des réactions très polarisées. Réputée pour ses représentations exubérantes, ses scènes de foule impressionnantes  ou sa marche triomphale, l’œuvre de Verdi apparaît ici sous un nouveau jour – Radamès y est un soldat traumatisé et les images de mort et de guerre ne le quittent pas même lorsqu’il est célébré. La lecture du metteur en scène est néanmoins cohérente, conforme au livret et à ce titre, la production se révèle captivante. Musicalement aussi, le chef d’orchestre Marco Armiliato aborde l'interprétation de son compatriote avec une connaissance parfaite de la partition. On le sait grand spécialiste de Verdi et il s’impose comme un « italianiste » raffiné. Dès l'ouverture, il déploie un son riche en couleurs et en nuances, et fait jouer l'orchestre de manière subtilement tonique. Il reste très romantique et sans lourdeur. Il permet à chacune des voix de s’exprimer, même s’il les met parfois au défi avec un son orchestral plein. Depuis la fosse, il souligne chaque tension de la partition de manière perceptible.


© Winfried Hösl

Sur le plan vocal, certaines attentes ne sont pas satisfaites. Elena Guseva peine à convaincre dans le rôle-titre. Son soprano semble survolté avec des aigus aigres, ses sentiments et son désespoir sont peu perceptibles. Raehann Bryce-Davis a repris le rôle d'Amneris au pied levé. La chanteuse américaine déploie un mezzo fin et très « cantabile », mais il lui manque de l'impact et un réel potentiel dramatique. Elle donne une impression de monotonie, de beauté sans couleur ni émotion. Il manque ainsi au spectateur le cœur de la confrontation qui oppose les deux princesses royales ennemies.

Leur amour à l’une et l’autre va au général Radamès, que la star locale Jonas Kaufmann interprète à merveille vocalement, avec la théâtralité pénétrante qu’on lui connait. Son ténor est frais, comme à l'accoutumée, avec des aigus resserrés, faisant régulièrement miroiter son émail dans les legati. Dans le rôle de Ramfis, Vitalij Kowaljow enchante avec un baryton puissant et radieux. George Petean, dans le rôle du roi d'Éthiopie Amonasro, parvient à rallier à sa cause autant sa fille sur scène que le public dans la salle grâce à un baryton très chantant et une solide présence scénique – et sans qu'on s'y attende, il est abattu lors de la découverte de la trahison de Ramfis. Enfin, Alexandros Stavrakakis est un jeune roi à la basse pleine et confortable.

Le public réserve des applaudissements nourris aux artistes, dans une salle comble.

traduction libre de la chronique en allemand de Helmut Pitsch
Munich, 28 avril 2024

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