Cette nouvelle production du Maître et Marguerite de York Höller à l'Opéra de Cologne faisait l’objet d’une double curiosité. Celle tout d’abord de redécouvrir ce vaste opéra d’après le roman de Boulgakov créé en 1989 au… Palais Garnier (sous le mandat de Jean-Louis Martinoty), mais également la promesse d’apprécier la vision qu’en proposait le metteur en scène Valentin Schwarz, maître d'œuvre d’un Ring de Wagner très attendu lors du prochain Festival de Bayreuth cet été.
La réponse à ces deux questions débouche hélas sur un sentiment mitigé. Concernant l’ouvrage en lui-même, la musique de York Höller (né en 1944) ne démérite pas. On sent tout le travail opéré par le compositeur allemand entre 1984 et 1988 pour aboutir à un opéra de trois heures, qui mêle un immense orchestre et des épisodes pour bande magnétique. Bien que basée sur une série rigoureuse de sons, la musique du Maître et Marguerite est relativement libre dans son expressivité. Cet ancien élève de Bernd Aloÿs Zimmermann (auteur de Die Soldaten) ajoute dans un luxueux flux orchestral des épisodes de jazz et de rock, tout en conservant une prosodie monotone héritée du sprechgesang des opéras de Berg. On ne peut s’empêcher de penser néanmoins que le langage manque d’impact et d’originalité et qu’il ne reflète en rien la profondeur, la richesse et la magie du roman initial de Boulgakov.
L’équipe musicale ne démérite pas non plus. Placé à la vue du public, à droite de la scène, le Gürzenich Orchester de Cologne sonne de façon assurée sous la baguette experte du chef André De Ridder, même s’il manque un certain feu dramatique pour emporter l’adhésion. Dans le carcan imposé par la mise en scène, les chanteurs font de leur mieux. Ainsi, du Maître monolithique de Nikolay Borchev, de la belle Margarita incarnée par la voix profonde d’Adriana Bastidas-Gamboa, du chafouin Ponce Pilate d’Oliver Zwarg, du sensible Besdomny de Martin Koch ou encore du narrateur très engagé d’Oscar Musinowski. Masqué par un costume impossible, Bjarni Thor Kristinsson tire le meilleur de son rôle de Voland, maître de la magie noire.
C’est que la mise en scène de Valentin Schwarz cannibalise la soirée. D’abord dépouillée, l’action s’anime progressivement de visions grotesques et carnavalesques. Cette folie douce correspond parfaitement à l’esprit de l’arrivée du diable dans la Moscou des années 1930. On aura ainsi droit à des costumes invraisemblables dus à Andy Besuch, notamment des sbires diaboliques emprisonnés dans des cages noires, à mi-chemin de la mouche et de la robe haute couture. Les enfants sont, eux, vêtus comme des monstres de dessins animés, tandis que des poupées géantes dotées d'énormes sexes qui pendent font leur apparition. Chacune est à l’effigie de personnalités artistiques, telles Vincent Van Gogh, Salvador Dali ou encore Andy Warhol. On le voit, on se trouve ici en plein Regietheater germanique, iconoclaste et foutraque. Valentin Schwarz passe à la moulinette kitsch et grotesque les symboles présents dans Le Maître et Marguerite. Tout apparaît ici déformé, grossi et vulgaire, avec des procédés déjà repérés dans d’autres ouvrages. Le metteur en scène autrichien (né en 1989) a sans doute de nombreuses réflexions et idées à partager, mais l’ensemble apparaît désespérément univoque et atone. Souvent, la scénographie s’affirme en opposition avec la musique, ainsi du spectacle de magie noire, du Bal de Satan ou encore du survol nocturne de Moscou, où Schwarz choisit de déserter la scène, au profit de vidéos bâclées. Faut-il dès lors s’attendre à une déception pour le prochain Festival de Bayreuth ? Dans la presse allemande, Valentin Schwarz a déclaré vouloir traiter la Tétralogie wagnérienne comme « une série de Netflix ». Nous voilà prévenus…
Laurent Vilarem
Cologne, 8 avril 2022
Der Meister und Margarita à l'Opéra de Cologne, jusqu'au 17 avril
09 avril 2022 | Imprimer
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