À l’Opéra-Comique, l’Heure espagnole de Ravel arrive à point nommé

Xl_lheure-espagnole-pulcinella-opera-comique-2024-001 © Stefan Brion

Et s’il était enfin temps pour L'heure espagnole ?  L’opérette de Maurice Ravel est très certainement l’un des ouvrages les moins joués et les moins reconnus du compositeur français. Telle qu’elle était donnée dans la mise en scène allègre et sans prétention de Guillaume Gallienne, cette Heure espagnole de l’Opéra-Comique (son lieu de création) séduit et amuse par son agréable modernité.

Passons malheureusement rapidement sur Pulcinella, donné en première partie de soirée. Il s’agissait pourtant d’une très belle idée, que d’associer deux ouvrages relativement contemporains (1920 pour Stravinsky, 1911 pour Ravel), l’un ballet avec chant, l’autre opérette, rappelant la fastueuse histoire de l’institution de la Salle Favart. Malheureusement, le mélange chant et danse ne s’opère guère dans ce Pulcinella-là. Malgré le talent des chanteurs (Camille Chopin, Abel Zamora, François Lis) et des danseurs (Oscar Salomonsson, Alice Renavand, Ivan Delgado del Rio, Manon Dubourdeaux, Anna Guillermin, Stoyan Zmarzlik), le spectacle ne déploie qu’une gentille bluette, aimablement chorégraphié par Clairemarie Osta, entre échos de Chaplin et réminiscences de West Side Story. Les couleurs pétulantes du décor (Sylvie Olivé) et les jolis costumes (Olivier Bériot) ne leurrent pas l’impression que les chanteurs (souvent raides) et les danseurs se côtoient, plutôt qu’ils ne se rencontrent. En revanche, quel orchestre ! À la tête de l’Orchestre des Champs-Elysées sur instruments d’époque, Louis Langrée régale par une direction vive, foisonnante et mélodieuse.

Pulcinella et l'Heure Espagnole, Opéra-Comique © Stefan Brion
Pulcinella et l'Heure Espagnole, Opéra-Comique © Stefan Brion

Après l’entracte, les décors (un escalier joliment biscornu) ne changent pas et le charme opère quasi immédiatement. L’oreille est ici encore attrapée par la fosse, où Louis Langrée présente une musique beaucoup plus opulente que chez Stravinsky. Quel étonnement que d’entendre de franches préfigurations d'œuvres de Ravel à venir, telles que Ma mère l’Oye, l’Enfant ou les sortilèges, voire le Concerto pour la main gauche de 1930 ! Le livret dû à Franc Nohain est volontiers anachronique et vieillot (Concepcion, épouse de l’horloger Torquemada, souhaite profiter de l’absence hebdomadaire de son mari, parti remonter les horloges de la vie, pour retrouver son amant), mais à y bien regarder, l’œuvre présente l’image véritable d’une femme libre et puissante. À la mise en scène, Guillaume Gallienne n’appuie pas sur cet aspect féministe, et c’est précisément parce qu’il traite l’ouvrage sans ostentation que cette Heure espagnole retrouve une actualité par-delà les anachronismes. La mécanique du théâtre de boulevard fonctionne à plein, les entrées et sorties des personnages sont bien réglées et on se prend à sourire voire à rire à l’imbroglio des quiproquos.

On retrouve une même simplicité respectueuse dans l’équipe vocale. En Torquemada, Philippe Talbot ne surjoue pas le rôle du mari cocu et chante sa partie de façon millimétrée. En Ramiro, Jean-Sébastien Bou est aussi convaincant musicalement que théâtralement. En Don Inigo et Gonzalve, Nicolas Cavallier et Benoît Rameau épousent un peu trop leurs rôles, l’un en fait un peu trop au point de rendre son rôle désuet, l’autre pas assez au risque d’être aussi falot que son personnage, mais la synergie de groupe fonctionne à plein et on passe une très agréable soirée en compagnie de cette troupe. Et puis, il y a la tornade Stéphanie d'Oustrac. Dotée d’une voix aux graves vénéneux, la mezzo française enchante et embrase la scène. Il est très facile de comprendre pourquoi tous ses hommes ridicules fondent aux pieds de cette Concepcion si hardie et volontaire…

Dans la fosse, l’Orchestre des Champs-Elysées dirigé par Louis Langrée rend justice à une partition brillante et attachante.

Laurent Vilarem
Opéra-Comique, 9 mars 2024

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