A l’Opéra de Rouen, Madame Butterfly en jeune fille normande

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Etrange spectacle que cette Madame Butterfly mise en scène par Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil. Il s’agit, pour reprendre l’expression consacrée, d’une proposition effectuée en grande partie contre la musique de Puccini, mais à l’étrange pouvoir de séduction.


Madame Butterfly, Opéra de Rouen (2018)

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Camille Schnoor (Cio-Cio San), Opéra de Rouen (2018)

Effets de pittoresque, abus de mélodrame, Madame Butterfly reste un opéra problématique au XXIe siècle. Donné d’abord à l’Opéra de Limoges, puis en ouverture de saison de l’Opéra de Rouen Normandie, le spectacle tend à dénoncer le kitsch inhérent de la célèbre pièce de David Belasco en faisant de Madame Butterfly une jeune rouennaise passionnée de culture manga. A l’entracte, difficile de dépêtrer encore les intentions des metteurs en scène. Sur un rectangle à mi-hauteur de la scène se découpe une chambre japonaise, à mesure qu’un immense écran vidéo dévoile des images quotidiennes des chanteurs déambulant dans la métropole normande. Au deuxième acte, le rapport s’inverse. Nous sommes maintenant dans l’appartement d’une adolescente d’aujourd’hui, qui vit la tragédie de Cio-Cio-San dans sa chair, comme si l’abus d’images extérieures l’avait déconnectée de la réalité. On comprend l’effort de modernisation effectué par Clarac et Deloeuil. Mais dans quel but ? La paire de metteurs en scène dénonce le kitsch par le kitsch, en substituant l’orientalisme colonial de la pièce d’origine, à une critique de la technologie et de la culture de masse. La transposition d’époque se perd en gadgets, de téléphones portables en peluches kawaii jusqu’à un embarrassant robot en guise de bébé. L’effort est clair : désamorcer les ressorts du mélodrame par les images d’une vie provinciale, aux idéaux vécus par procuration. La cruauté de la trame est ainsi largement amoindrie : les vidéos tendant paradoxalement à atténuer la part « féministe » de l’opéra et banaliser le terrible sort d’une jeune femme de quinze ans, abandonnée par un lieutenant de la Marine. Dans cette production, Madame Butterfly devient ainsi Madame Bovary. Une jeune fille perdue dans ses fantasmes, sans qu’on ne sache jamais les raisons de sa pathologie, ni même le point de vue des metteurs en scène sur la question. Est-elle une jeune fille en fleur qui s’ennuie ? Ou bien s’agit-il d’une critique de l’appropriation culturelle d’une certaine jeunesse à l’égard du Japon ?

Musicalement, le bilan est également mitigé. A la tête de l’Orchestre de l'Opéra de Rouen Normandie, Pierre Dumoussaud livre une lecture sans sensualité, parfois hâtive, d’autres fois inexplicablement alanguie (début du 3e acte). A titre plus anecdotique, sa gestique ample et sa respiration détournent parfois le regard de la scène. Annoncé souffrant, le Pinkerton de Georgy Vasiliev souffre clairement d’une gêne sur les cordes vocales, mais déploie un timbre monochrome. Impressionnante dans la récente Nonne Sanglante, Marion Lebègue ne parvient hélas à animer le rôle de Suzuki, devenue ici bonne amie d’université. Seuls, Armando Noguera tire son épingle du jeu avec un Sharpless d’une belle présence scénique et vocale, et surtout l’excellente Camille Schnoor dans le rôle-titre. Dans cette production qui critique in fine la fascination du spectateur pour l’opéra, la soprano franco-allemande parvient à faire vivre le personnage de Puccini, avec une incarnation d’enfant blessée. Le timbre est beau, riche en nuances, auquel ne manque encore qu’un peu de puissance pour brûler les planches.

On ressort déçu voire irrité de l’Opéra de Rouen mais quelques heures après la représentation, la vision radicale et assumée des metteurs en scène nous revient en mémoire. Le quotidien d’une jeune fille de Rouen qui meurt d’avoir vécu ses rêves, sous l’œil acerbe de deux metteurs en scène, à la manière d’un épisode de l’émission Striptease. En revanche, Puccini reste aux abonnés absents.

Laurent Vilarem
(Rouen, 25 septembre 2018)

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