Des Huguenots en cinémascope à la Deutsche Oper de Berlin

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On y va avec crainte. Une réputation d'œuvre pompière, une durée wagnérienne (près de cinq heures de spectacle) et un argument aux échos évidents dans l'actualité. Puis on se rassure : Les Huguenots furent l'opéra français le plus joué au 19ème siècle et Wagner lui-même loua le génie de Meyerbeer avant de le vouer aux gémonies. Enfin, Les Huguenots appartiennent à un ambitieux cycle Meyerbeer à la Deutsche Oper de Berlin (Vasco de Gama, Le Prophète) et la capitale allemande est la ville idéale puisque la présence des protestants français du 16ème siècle est encore très visible aujourd'hui.


Les Huguenots à Berlin


Les Huguenots à Berlin, Juan Diego Florez, Olesya Golovneva

S'inspirant du massacre de la Saint-Barthélemy, l'opéra est passé à la postérité comme l'un des plus sanglants du répertoire. Or, les deux premiers actes nous plongent dans une atmosphère d'opérette aux conventions très bourgeoises. La musique de Meyerbeer surprend par son hétérogénéité : on passe d'un choral de Bach (omniprésent dans la partition) à des danses de salon, avant que ne leur succèdent un aria de quasi belcanto ou de vastes parties chorales a cappella. Le résultat se heurte à une banalité mélodique et harmonique quasi-générale, mais titille l'oreille par des détails instrumentaux d'une audace inouïe. Ainsi de l'utilisation de la viole d'amour pour le premier air de Raoul ou des couleurs de la clarinette basse qui évoquent immédiatement Berlioz ou Wagner.

C'est cette hétérogénéité que le metteur en scène américain, David Alden met en avant, allant jusqu'à faire des Huguenots une sorte d'ancêtre des musicalsde Broadway, à la manière des Misérables. Avec une débauche de moyens, le Deutsche Oper rend hommage de façon spectaculaire à cet ouvrage créé dans la « Grande Boutique » de l'Opéra de Paris en 1836. Les décors coulissent, offrant une large profondeur de champ sur la scène, les costumes scintillent, et l'engagement des chanteurs et figurants proposent une soirée en cinémascope, digne d'un opéra de classe mondiale. Si David Alden souligne les jeux de l'amour et du plaisir chers à la bourgeoisie française jusqu'au burlesque, il échoue cependant à rendre lisible l'acte 3 où le ton de l'œuvre change drastiquement. Car c'est ce qui surprend le plus dans le livret d'Eugène Scribe : donnés dans leur version longue (à l'exception de quelques coupures), Les Huguenots se chargent progressivement d'une dimension politique effarante. Sans surlignage ou clin d'œil trop évident à l'actualité, le spectacle gagne en gravité et en intensité, un intimidant panneau « Dieu le veut » surplombe la scène, les flonflons de l'orchestre deviennent glaçants et par contraste, le duo d'amour de l'acte 4 rappelle, avec des moyens très différents bien sûr, celui de Tristan et Isolde voire de Pelléas et Mélisande.

Musicalement, l'opéra de Meyerbeer ne serait pas aussi réussi sans l'engagement d'une équipe magnifiquement soudée. Au pinacle, la direction de Michele Mariotti, le directeur musical du Teatro Comunale de Bologne et qu'on avait pu apprécier dernièrement dans La Traviata à Paris. Le chef italien maintient une infaillible tension dramatique, aidée par un orchestre du Deutsche Oper d'une époustouflante cohésion. Les chœurs du Deutsche Oper connaissent certes des décalages en début de soirée, mais gagnent en profondeur et en assurance lors des deux actes finaux. A l'exception du comte de Nevers stylé de Marc Barrard, l'absence de francophones ne se fait pas trop sentir : Patrizia Ciofi réussit un impayable numéro en Marguerite de Valois, Irene Roberts possède la juvénilité requise pour Urbain, Derek Welton impressionne en Saint-Bris, Ante Jerkunica est un peu hors-style en Marcel mais séduit par sa voix chaleureuse. Dans le personnage univoque de Raoul, Juan Diego Florez (annoncé légèrement souffrant en début de représentation) confirme son excellente prosodie française et se libère dans un acte 4 enchanteur (demeure la minceur d'une voix qui l'oblige souvent à pousser dans les aigus, jusqu'à des problèmes de justesse). Quant à la Valentine d'Olesya Golovneva, elle embrase les planches par un tempérament dramatique qui fait d'elle une artiste à suivre de très près.

Après cinq heures de spectacle, Les Huguenots forment un spectacle complet. Et malgré ses lourdeurs et faiblesses, Meyerbeer n'a peut-être jamais paru aussi moderne.

Laurent Vilarem


Représentation du 17 novembre 2016

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