Fascinante Annonce faite à Marie de Philippe Leroux à Angers Nantes Opéra

Xl_annonce-faite-a-marie_repetitions-c-delphine-perrin_angers-nantes-opera-004 © Delphine Perrin

Et si L’Annonce faite à Marie, donnée en création à Angers Nantes Opéra, était une œuvre musicale importante ? L’opéra de Philippe Leroux choisit certes un sujet relativement classique (la pièce de Paul Claudel est en effet la plus populaire de son auteur) mais sa mise en musique est aventureuse, profondément originale, et il n’est pas interdit de penser que le compositeur invente même une nouvelle manière de chanter l’opéra en français après Pelléas et Mélisande de Debussy.

L'Annonce faite à Marie (répétitions) © Delphine Perrin pour Angers Nantes Opéra

Parlons tout d’abord des défauts du spectacle. La mise en scène de Célie Pauthe s’appuie sur de très belles lumières et une magnifique direction d’acteurs, au diapason d’une équipe de chanteurs profondément investis (nous les citerons tous plus tard). Mais la scénographie n’échappe pas à une certaine littéralité, voire à une forme d’imagerie chrétienne, qui frôle le saint-sulpicianisme dans les scènes finales. L’autre écueil de la soirée consiste dans le relatif statisme de l’action (mais après tout, Pelléas de Debussy n’est-il pas lui aussi statique ?). Philippe Leroux, qui est un compositeur d’origine spectrale, s’appuie parfois trop sur la lenteur de ses processus et aussi belle et sensuelle soit la partie instrumentale (l’excellent Ensemble Cairn dirigé par Guillaume Bourgogne), une certaine monotonie freine les deux heures trente du spectacle, ponctué de longues conversations entre les personnages.

Mais L’annonce faite à Marie est l’opéra d’un compositeur qui opère la synthèse de ses connaissances. A 63 ans, Philippe Leroux récapitule ses expérimentations vocales pour en offrir une version accessible à un plus large public. Il y a beaucoup d’intensité dans les actions des personnages, beaucoup d’humanité aussi. Là où certaines lectures de Claudel jouent sur une voix blanche et monocorde, Leroux choisit l’exact inverse en mettant la voix humaine dans tous ses états. Difficile d’énumérer les techniques vocales réclamées par le compositeur tant elles abondent : voix droites, saturées, paroles, chant bel canto, mélismes, prières, chant grégorien, récitatif debussyste, glissandi, cris à laquelle s’ajoute la recréation de la voix de Paul Claudel lui-même (grâce à l’informatique de l’Ircam) et un environnement électronique enveloppant. Le tout crée un fabuleux tissu polysémique, qui comme Debussy avec Maeterlinck, invente une autre manière d’entendre la pièce de théâtre originelle. Parfois, le livret (dû à Raphaèle Fleury) égrène des mots détachés de leurs contextes, sans que l’effet en paraisse gratuit ou inutilement aride.

Face à une écriture vocale aussi inventive, les chanteurs révèlent les émotions des personnages avec une formidable vérité : lumineuse et mystérieuse Violaine de Raphaële Kennedy, impressionnante et complexe Mara de Sophia Burgos, droiture et élégance du Vercors de Marc Scoffoni, fougue et dramatisme du Jacques de Charles Rice, gouaille et sensibilité de la mère de Els Janssens-Vanmunster, ou émouvant et mystérieux lépreux de Vincent Bouchot.

L'Annonce faite à Marie (répétitions) © Delphine Perrin pour Angers Nantes Opéra

L’Annonce faite à Marie possède en outre une scène d’une incroyable intensité : le miracle du troisième acte. Sur une trame constamment ascendante, agrémentée d’électronique et d’un ensemble vocal comme un chœur d’anges, Philippe Leroux emmène l’auditeur dans une forme de transe. Après un tel sommet, on pourrait craindre que le quatrième et dernier acte soit décevant, il n’en est rien : le compositeur redouble d’humanité au plus près de ses personnages. On songe ici de nouveau au cinquième acte de Pelléas et Mélisande.

Depuis plusieurs années ont été créés de magnifiques opéras contemporains. Citons notamment L’Inondation de Francesco Filidei ou à l’étranger Written on skin de George Benjamin. Difficile de savoir si L’annonce faite à Marie réussira à percer le “plafond de verre” du seul public de la musique contemporaine pour se faire connaître d’un plus large public.

À la fois très nouvelle et immédiatement classique, l’écriture vocale témoigne du talent d’un compositeur au sommet de ses moyens. Faisons confiance aux interprètes réunis par l’Opéra de Nantes (le spectacle part ensuite à Rennes et Angers en novembre) pour faire fructifier les fruits de cette fascinante Annonce.

Laurent Vilarem
9 octobre 2022, Nantes

L'Annonce faite à Marie, à Angers Nantes Opéra du 9 octobre au 19 novembre 2022

 

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