Julie était l’opéra préféré de Philippe Boesmans. De son propre aveu, le compositeur belge en aimait la fulgurance de la trajectoire (1h20) et la puissance des sentiments déployés par la pièce de Strindberg. Disparu le 10 avril, Philippe Boesmans avait pu voir la première de ce spectacle créé à l’Opéra de Nancy fin mars. Nul doute qu’il en ait été profondément heureux.
Pour sa reprise à l’Opéra de Dijon, Julie conserve les mêmes interprètes qu’en Lorraine. À la mise en scène, Silvia Costa s’affirme comme l’une des artistes les plus prometteuses actuelles. Cette ancienne assistante de Roméo Castellucci avait témoigné d’un univers onirique, sensible et réfléchi dans Like Flesh de Sivan Eldar à l’Opéra de Lille. Pour Julie de Boesmans (mis en scène par Luc Bondy lors de sa création à Bruxelles en 2005), la dramaturge italienne débute le spectacle par l’image saisissante d’un insecte géant. On retrouve bien ici l’infra-monde plongé dans le noir qu’on avait pu apprécier dans Like Flesh.
Ici, la pièce Mademoiselle Julie de Strindberg n’est pas traitée de façon réaliste. Les personnages apparaissent comme le jouet de passions dont ils ne sont pas les maîtres. Des rêves et des visions étranges ponctuent la représentation, une danseuse (Marie Tassin) et les chanteurs soulignant la dimension chorégraphique de la musique de Boesmans.
Dans Julie, la science des timbres du compositeur est à son apogée de même que son génie pour la caractérisation des personnages. Qu’il s’agisse de l’héroïne (jeune comtesse obsédée par la chute), de Jean (valet préoccupé d’ascension sociale) ou de Kristin (domestique aux envolées colorature), Boesmans mêle tradition et modernité, grâce à un ensemble instrumental acrobatique (superbe Orchestre de l’Opéra National de Lorraine). Loin d’un déchaînement frénétique de passions, l’opéra garde une texture décalée, zébrée de superbes épisodes de tendresse et de sublimes mélodies. C’est ce que comprend Silvia Costa qui fait de la destinée tragique de l’héroïne, une nuit de la Saint-Jean, un beau cauchemar érotique. La comtesse Julie n’est pas ici dépeinte comme une hystérique, croqueuse de domestiques, mais comme une femme blessée dont l’Américaine Irene Roberts tire des accents déchirants. De même, le Jean de l’Américain Dean Murphy trouve une belle ambiguïté scénique, malgré un chant rayonnant, tandis que la Kristin de la Belge Lisa Mostin impose également un puissant portrait de fiancée trompée mais inflexible. Certes, Silvia Costa abuse parfois d’idées abstraites, rendant parfois languissante une soirée qui possède ses longueurs. Mais le chef Emilio Pomarico veille au dramatisme et à l’intensité de l’ensemble des participants, et le spectacle imprime durablement la rétine par la beauté de ses décors et de ses lumières.
On sort de l’Opéra de Dijon comme d’un rêve étrange et magnifique, avec la certitude que Julie de Boesmans est un ouvrage appelé à rester durablement au répertoire.
Laurent Vilarem
Dijon, 6 mai 2022
Julie, à l'Opéra de Dijon Métropole du 4 au 7 mai 2022
Crédits photos : © Jean-Louis Fernandez
08 mai 2022 | Imprimer
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