Il aura suffi de quelques secondes pour que Sondra Radvanovsky réveille la routine d’un Trouvère de répertoire et que l’opéra redevienne l’art aux passions exacerbées que nous aimons.
Avec l’opacité qui est la sienne (une fâcheuse habitude concernant ses relations avec le public), l’Opéra de Paris n’avait laissé aucune indication concernant le bon déroulement de la soirée. La veille et l’avant-veille, une grève avait annulé in extremis les représentations lyriques, et c’est sur un spectacle lourd d’incertitudes que le rideau s’ouvrait. La première scène déçoit par sa banalité : le Ferrando de Mika Kares manque d’ampleur, le chœur masculin est mal assuré, et la mise en scène déploie des images attendues de tranchées de la première guerre mondiale.
Il aura donc fallu l’apparition de la soprano canadienne, dans une robe dorée piquetée de diamants, pour que la magie verdienne surgisse dans une fulgurance de musicalité. Avec son timbre opulent, au vibrato maîtrisé, Sondra Radvanovsky brosse une Leonora passionnée dont la longueur de la voix épouse les nuances mélancoliques d’une incarnation hors-norme. A ses côtés, l’Inès d’Elodie Hache trouve la plus délicieuse des alchimies, offrant un spectacle à la féminité accomplie.
Les hommes seront davantage à la peine au cours de la soirée. Très décevant, le baryton Željko Lučić multiplie les raffinements chambristes pour dissimuler un timbre engorgé et nasal. Son aria Il balen del tuo sonriso le montre en extrême difficulté vocale. Marcelo Alvarez bénéficie d’une voix plus éclatante, mais comme pour rivaliser avec l’excellence de ses partenaires féminines, force son émission, en faisant un sort à chacune des syllabes, jusqu’à créer des problèmes d’homogénéité. La deuxième partie de l’ouvrage permet toutefois au ténor argentin de parachever le portrait d’un héros nerveux et emporté.
Peu importe finalement que la mise en scène d’Alex Ollé (membre de la Fura dels Baus) ne fasse le pari de la lisibilité sur la trame notoirement compliquée du Trouvère. Le spectateur oscille entre indifférence et jolies trouvailles scénographiques, tels ces blocs de pierre qui s’envolent, pareils à des tombes dans un ciel béant. Peu importe également que le chef Maurizio Benini livre une interprétation en manque de pétillement et de précision rythmiques. Le temps paraîtrait même parfois long si cette production de l’Opéra de Paris n’avait en sa possession un atout majeur : Anita Rachvelishvili (Azucena). Avec la mezzo géorgienne, toute routine explose, et avec elle, toute inquiétude quotidienne. La vaste scène de l’hallucination d’Azucena époustoufle par son ampleur ravageuse et le personnage est parfaitement construit jusqu’au saisissement final.
Aux applaudissements, le public fait naturellement un triomphe à ces flamboyantes chanteuses.
Laurent Vilarem
(Paris, le 27 juin 2018)
© Julien Benhamou / OnP
28 juin 2018 | Imprimer
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