Picture a day like this à l’Opéra-Comique : le retour aux sources de George Benjamin

Xl_picture-a-day-like-this_opera-comique_2024-dr-s-brion-001 © Stefan Brion

Picture a day like this est un retour aux origines. Dix-huit ans après Into the Little Hill (2006), George Benjamin revient à l’opéra de chambre. Ici, durée (une heure) et fosse (23 musiciens) contrastent avec les vastes forces déployées par Written on Skin (2012) et Lessons in Love and Violence (2018), les deux précédents opéras qui ont apporté la consécration internationale au compositeur britannique. Fait significatif, George Benjamin retrouve également pour Picture a day like this son duo de metteurs en scène d’Into the Little Hill : les Français Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma.

Après sa création au Festival d’Aix en 2023, l’opéra était redonné à l’Opéra-Comique, avec les mêmes acteurs que la première provençale. Pour son quatrième livret consécutif, le dramaturge Martin Crimp renoue avec la forme du conte d’Into the Little Hill. On quitte ici les méandres médiévaux de Written on Skin et des Lessons pour s’immerger dans un monde onirique et moderne. Une femme (Marianne Crebassa) vient de perdre son enfant ; elle devra prendre le bouton de manche d’une personne parfaitement heureuse afin que son bébé ressuscite. S’en suivent cinq rencontres inabouties (un couple polyamoureux, un ouvrier, une compositrice, un collectionneur d’art et une mère en deuil) qui dépeignent une quête impossible.

Picture a Day Like This - Opéra-Comique (2024) (c) Stefan Brion
Picture a Day Like This - Opéra-Comique (2024) (c) Stefan Brion

Avec cet argument qui rappelle les sept portes à ouvrir du Château de Barbe-Bleue de Bartok, on imagine bien ce que le livret a de schématique et de répétitif. L’héroïne croit rencontrer une personne heureuse, qui finalement s’avère faillible et désespérée. Dès le monologue initial (Marianne Crebassa en majesté), on reste cependant saisi par l’évidence de l’écriture vocale de George Benjamin. D’un côté, un orchestre pourrissant et funèbre (avec ses trompettes bouchées, Benjamin est le compositeur des souterrains), de l’autre des voix frémissantes de vie et de sensibilité. Ici, des personnages qui avouent petit à petit leur pulsion de mort ; là, un orchestre en sourdine prêt à réaliser ses menaces et à sauter sur la scène. La scène finale (sur d’admirables vidéos d’Hicham Berrada)  condense ainsi la substantifique moelle de l’univers esthétique de Benjamin : deux personnages, entre vie et mort, affrontent la douleur de la perte dans un paysage de cendres.

Oserions-nous écrire que la superbe réussite de Picture a day like this réside dans la parfaite adéquation du livret de Crimp à la musique de Benjamin ? La forme et la brièveté de la fable conviennent en effet idéalement à la musique raréfiée et crépusculaire du Britannique, loin des fracas furieux de Written on Skin et des Lessons. Cette profonde compréhension se retrouve aussi dans l’équipe de mise en scène puisque Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma présentent un décor qui tient autant de la morgue, de la galerie de fête foraine que de l’espace mental. Changements à vue et portes coulissent comme les palimpsestes superposés de la musique de Benjamin. La direction d’acteurs est admirable d’humanité : Cameron Shahbazi réalise un vénéneux séducteur polyamoureux, Beate Mordal une flamboyante diva de la composition, John Brancy un noble et pudique collectionneur et Anna Prohaska est bouleversante dans le rôle d’un fantôme édénique. Dans le rôle principal, Marianne Crebassa est extraordinaire : d’abord naïve et contenue, la mezzo française déploie ensuite des trésors de force et d’humanité pour livrer une incarnation brûlante d’une mère endeuillée.

Rares sont les soirées où tous les éléments du spectacle sont mis à ce point au service de la musique du compositeur : Picture a day like this à l’Opéra-Comique est de ces soirées-là.

Laurent Vilarem
Paris, 25 octobre 2024

Picture a day like this à l'Opéra-Comique (Paris 2e) du 25 au 31 octobre 2024

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