Un magnifique Pelléas et Mélisande à Montpellier

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Ce Pelléas et Mélisande de l’Opéra de Montpellier est une très belle réussite. La mise en scène de Benjamin Lazar est inégale mais elle est portée par une magnifique lecture du chef Kirill Karabits et une distribution vocale exceptionnelle.


Pelléas et Mélisande - Opéra-Orchestre National de Montpellier (2022)

Commençons tout d’abord par le mystère Pelléas. Comment l’opéra de Debussy parvient-il à créer une telle émotion, à la fois humaine et philosophique ? Contemporaine d’Ibsen et Tchekhov, la pièce de Maeterlinck reste étonnante pour les spectateurs d’aujourd’hui (nombreux sont les impatients à quitter l’opéra à l’entracte) par son étrangeté et sa quotidienneté. On glisse bien davantage vers le théâtre de l’absurde  que vers le symbolisme fin de siècle. C’est ce que comprend Benjamin Lazar, qui offre une véritable mise à plat de l’action dramatique. Le magnifique décor unique d’Adeline Caron rehaussé des lumières poétiques de Mael Iger donne à voir en permanence les cinq actes de l’ouvrage. Benjamin Lazar crée en outre de nombreux échos entre les scènes, jetant des passerelles entre les époques et les personnages. Cette attention au détail « réaliste » fonctionne à merveille dans les scènes les plus intimistes, telles que le dialogue quasi parlé entre Mélisande et Golaud à l’acte 2 ou le monologue d’Yniold à l’acte 4. Le spectacle n’échappe cependant pas à une certaine littéralité et bute sur l’érotisme (la scène de la chevelure) ou la cruauté (la violence imposée à Yniold à l’acte 3). On sait toutefois gré à Benjamin Lazar de ne pas appuyer sur la crudité  (trop de Pelléas placés dans un hôpital ou un asile psychiatrique) ou l’onirisme (les personnages sont ici des êtres humains de chair et de sang). Le metteur en scène français impose une lecture par petites touches, qui culmine dans l’image finale du cinquième acte. Enlisée jusqu’à la taille, Mélisande disparaît mystérieusement comme Madeleine Renaud dans Oh les beaux jours de Beckett.


Pelléas et Mélisande - Opéra-Orchestre National de Montpellier (2022)

On retrouve cet art du décalage dans la distribution vocale. À l’exception de Vincent Le Texier en Arkel qui compense son chant hurlé par un excellent jeu scénique (et de saisissants passages parlés), aucun chanteur ne passe par la force. Aidée par l’étonnant costume d’Alain Blanchot, Elodie Méchain dépeint un très joli personnage de Geneviève. Julie Mathevet est un Yniold parfait, aussi bien vocalement que théâtralement. Falot au premier abord, Allen Boxer brosse un Golaud très attachant et complexe. Mais c’est le couple-titre qui entre véritablement dans l’histoire de l’ouvrage. Loin des Pelléas qui chantent « trop » bien, la voix de Marc Mauillon est étrange, sensible, infiniment personnelle. Sa prosodie parfaitement intelligible provoque littéralement l’ivresse dans ses deux duos d’amour. Toute aussi originale, Judith Chemla propose une Mélisande inoubliable. Parfois « brute de décoffrage » (et tant mieux), elle présente néanmoins une héroïne d’une vérité et d’une sensibilité uniques.

La soirée ne serait pas si réussie sans la direction de Kirill Karabits à la tête de l’Orchestre National Montpellier Occitanie. Comme le metteur en scène, le chef ukrainien choisit une lecture vive, naturelle, à la vie fourmillante. La symbiose fosse/scène souligne le succès de ce Pelléas, dont la discrète émotion vous accompagne longtemps après la fin de la représentation.

Laurent Vilarem
Montpellier, 11 mars 2022

Pelléas et Mélisande à Opéra-Orchestre National de Montpellier, du 9 au 13 mars 2022

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