On pouvait appréhender cette Carmen de deux façons différentes. Première possibilité : on se trouve dans la salle. La présence de caméras et de micros indique seulement les circonstances exceptionnelles de la représentation. Dans une mise en scène donnée à Saint-Gall et Tenerife, on assiste alors à un bon spectacle, bien chanté, notamment l'impressionnante Carmen de Julie Robard-Gendre dans le rôle-titre.
Carmen sur écran(s) ; © Laurent Guizard
Antoine Belanger et Julie Robard Gendre ; © Laurent Guizard
Deuxième option : on se retrouve assis aux côtés des 7000 personnes sur la Place de la Mairie de Rennes qui regardent la transmission de l'opéra de Bizet sur écran géant. La communauté réunie ce soir ne s'arrête pas là puisque le spectacle est diffusé sur 25 autres écrans géants répartis dans toute la Bretagne ainsi qu'à la télé régionale. Incroyable succès populaire, cette Carmen sur écrans s'affirme alors comme un magnifique exemple de démocratisation culturelle et il faut saluer le travail splendide de l'Opéra de Rennes d'avoir réussi à fédérer toute une ville (et une région) autour de son projet.
La représentation à proprement parler n'est pas sans défauts. Si elle est énergique, la direction de Claude Schnitzler n'est pas avare de lourdeurs, et l'Orchestre Symphonique de Bretagne présente un son massif et sans personnalité. On félicitera en revanche sans réserve la prestation du Chœur de l'Opéra de Rennes et de la Maîtrise de Bretagne dans les nombreuses parties chorales qui ponctuent la partition. La mise en scène de Nicola Berloffa entame au 1er acte une intéressante transposition de l'action dans l'Italie fasciste des années 30 (les brigadiers portent des chemises noires), avec une lecture sombre qui surprend dans pareil contexte. L'acte 2 tombe toutefois dans l'espagnolade, et la mise en scène poursuit plusieurs idées (notamment à l'acte 4, la projection du film Carmen de Lubitsch) sans en mener à terme aucune, entraînant un problème de rythme. Au bénéfice du spectacle, de beaux décors mobiles de Rifail Ajdarpasic et surtout une saisissante violence corporelle entre les personnages. La réussite de la soirée ne serait ainsi rien sans l'engagement des chanteurs. Oublions l'Escamillo de Régis Mengus, à court de projection et de justesse, ainsi que les Mercedes et Frasquita de Sophie Pondjiclis et Marie-Bénédicte Souquet qui versent dans l'outrance, pour évoquer l'excellent Dancaire de Pierrick Boisseau et surtout la subtile Micaela de Marie-Adeline Henry, d'une grande ampleur dramatique. Dans les rôles-titres, Antoine Bélanger s'améliore en cours de représentation, jusqu'à brosser un Don José d'une terrible violence intérieure, en dépit d'une voix parfois brute. Quant à Julie Robard-Gendre, elle trouve tout de suite ses marques dans le rôle-titre, et offre du personnage une vision brulante, aussi crédible scéniquement que vocalement, réussissant à la fois à renouveler les airs les plus connus de l'ouvrage par une prosodie travaillée et à insuffler une dimension tragique à son incarnation.
Carmen sur écran(s) ; © Laurent Guizard
Bien accueillis aux saluts, les chanteurs reçoivent un véritable triomphe lors des saluts au balcon au premier étage de l'opéra. Accueillis comme des stars par les milliers de personnes rassemblées sur la place, ils concluent une soirée exemplaire à de nombreux titres. Car l'Opéra de Rennes avait réuni un déluge de bonnes idées pour la réussite du projet : collaboration des entreprises numériques de la région, avec nombreux ateliers interactifs dans la ville ayant l'opéra pour lien, distributions de petits tatouages éphémères à l'effigie de Carmen, petits clips visuels et sonores réalisés par l'Ecole des Beaux-Arts... Et lorsqu'à l'entracte, la foule entonne à pleins poumons "La Garde Montante" (on entendra également des airs du Toréador spontanés dans le silence de la nuit rennaise), une chose devient certaine, l'Opéra de Rennes a réussi ce qu'on croyait impossible : faire de l'opéra le centre de sa ville.
Crédits photos : © Laurent Guizard
12 juin 2017 | Imprimer
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