"Aimer à perdre la raison" avec Enguerrand de Hys au Théâtre de Sète

Xl_ayonis__1_ © Emmanuel Andrieu

Deux jours après sa participation dans Pénélope de Gabriel Fauré au Théâtre du Capitole, c’est à celui de Sète que nous retrouvons le jeune et brillant ténor français Enguerrand de Hys (qui nous a accordé une interview) dans un récital intitulé « Aimer à perdre la raison », d’après la célèbre chanson de Ferrat. Car c’est l’Amour qui est ici célébré sous toutes ses formes, tant à travers les plus grands airs du répertoire lyrique que les plus belles chansons du XXe siècle. C’est accompagné du pianiste Paul Beynet et de la clarinettiste Elodie Roudet – compagnons du CNSMP avec lesquels il a formé le Trio Ayonis – qu’il devait initialement se produire, mais cette satanée Covid-19 est passée par là, et Elodie Roudet a été testée positive la veille du concert ! Qu’à cela ne tienne, en ces temps spécieux où il faut sans cesse « se réinventer », et au prix de quelques petits changements ou adaptations, le concert a pu avoir lieu sans trop dévier du programme de salle.  

Ce dernier débute par la chanson de Barbara « Je ne sais pas dire », un de ses plus grands succès, auquel s’enchaîne sans pause ni cassure, par l’entremise du piano, l’aria de Nemorino « Una furtiva lagrima » (L’Elixir d’amour de Donizetti). On le sait depuis son Arturo (dans Lucia di Lammermoor) à l’Opéra de Limoges il y a cinq ans, où l’on admirait déjà la beauté intrinsèque du timbre et la projection claire de la voix, que le belcanto lui sied bien. Il nous en fait une nouvelle fois la preuve ici, en variant les couleurs et en insufflant à cet air une sensibilité juste et une émotion sincère. Nous ne dresserons pas la liste entière de tous les morceaux exécutés, mais aux côtés de chansons de Brel (« Quand on n’a que l’amour ») ou de Ferrat (« Aimer à perdre la raison »), qu’il délivre avec la même « émotion sincère » que son air de Nemorino, ce sont trois siècles de tradition lyrique concentrée sur le sentiment amoureux (le plus souvent malheureux…) qu’il défend avec conviction. Ainsi de l’aria extrait du Giulio Cesare in Egitto haendélien « Se pieta di me non senti », délivré à fleur de lèvres et qui submerge d’émotion l’audience autant que l’artiste lui-même, ou de la magnifique Chanson perpétuelle d’Ernest Chausson, dans laquelle ses talents de diseur font merveille, avec des mots qui s’écoulent tour à tour de manière douloureuse ou brûlante, jusqu’au cri déchirant qui clôt la pièce. Il faut y associer ici le piano de Paul Beynet qui fusionne avec les accents du chanteur, en se montrant tout aussi éloquent que lui dans l’expression de la douleur d’aimer. On goûte également à son art de l’improvisation quand il s’agit de pallier l’absence du solo instrumental que devait assurer sa collègue à la clarinette (celui de La Force du destin), et il est de manière amplement justifiée tout aussi applaudi que le ténor à l’issue de la représentation.

A noter que le concert, qui a déjà tourné un peu partout en France, de Rouen à Compiègne (où les trois artistes sont en résidence), et de Quimper à Saint-Céré, est proposé dans une mise en espace signée par Edouard Signolet, aidé par Eric Dumas et Laurianne Scimeni Del Francia pour la scénographie, et Elisa Millot pour les éclairages. Une mise en place aussi simple que sensible, qui fait évoluer le chanteur de manière naturelle sur le plateau, parfois prostrée sur scène dans les airs les plus désespérés, ou tout simplement assis aux côtés du pianiste. Le décor se limite à deux belles voiles diaphanes placée derrière le piano et qui font penser à la proue d’un navire, tandis que le must reste les douces et poétiques lumières qui tombent des cintres en un faisceau d’étoiles…

Si le reconfinement n’est pas prolongé, il reste une dernière date, le 6 décembre, au Théâtre de Chatenay-Malabry… Courez-y !

Emmanuel Andrieu

« Aimer à perdre la raison » par Enguerrand de Hys et Paul Beynet au Théâtre de Sète, le 25 octobre 2020

Chaîne Youtube du Trio Ayonis

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