Akhnaten de Philipp Glass à l'Opéra de Flandre

Xl_ahknaten © Annemarie Augustjins

Philip Glass – qui a touché à toutes les musiques (pop, musique de film, rock, musique électronique) – doit faire la carrière la plus réussie de tous les compositeurs américains. Son ouvrage lyrique Akhnaten – créé à Stuttgart en 1984 - constitue la troisième partie d'une trilogie dédiée aux personnalités qui, selon Glass, ont changé le cours de l'Histoire, et dont les deux premières étaient Einstein on the Beach (dont la production originale a été reprise avec un formidable succès au Théâtre du Châtelet en 2013) et Satyagraha. Mais peut-on appeler Akhnaten un opéra ? C'est une fresque musicale qui comprend relativement peu de chant solo, se composant plutôt de morceaux orchestraux et d'instants mimés, avec parfois un dialogue parlé, dans la langue vernaculaire du public - selon le vœu de Glass, et donc ici en néerlandais -, mais aussi en égyptien ancien, en hébreu ou en akkadien.

La trame en est le destin du pharaon Aménophis IV qui, sous le nom d'Akhenaton, imposa le culte d'un dieu unique, Aton, dont il se disait le fils, de même que, renonçant à la polygamie, il se contenta de la belle Néfertiti. Peut-être la réalité historique est-elle plus compliquée, car les liens étroits (charnels ?) du Pharaon avec sa mère, la Reine Tye, voire avec ses filles, la forte personnalité de Néfertiti, plus attachée que lui à la l'avènement du culte d'Aton et, peut-être, le complexe de castration de ce souverain aux représentations efféminées, sont autant d'énigmes. Plus que le monothéisme, c'est, semble t-il, la mise à l'écart des trop puissants prêtres d'Amon, qui intéressait le souverain. En tant que premier monothéiste de l'univers, Akhenaton reste en tout cas un réformateur important de l'histoire ; Freud suggéra même que Moïse était l'un de ses disciples...

Comme le découpage du livret opère un choix orienté dans les sources historiques - funérailles d'Aménophis III, couronnement d'Akhenaton, fondation de la Ville sainte, vie de famille, chute du monarque qui a négligé d'envoyer des renforts à ses troupes, visite guidée des ruines au XXe siècle : tout cela dûment commenté par le Scribe (rôle parlé, remarquablement tenu par le célèbre comédien néerlandais Geert Van Rampelberg) -, le spectateur se laisse guider par la progression chronologique.

Philip Glass a choisi d'écrire le rôle-titre pour la voix de contre-ténor. Son écriture extrêmement personnelle s'efforce de combiner les sons et tonalités de la musique occidentale avec la technique de la musique indienne. On l'a décrite souvent par les termes de « minimaliste » voire de « simpliste ». Ce sont en tout cas de larges motifs répétés très longuement. Un grand orchestre traditionnel privé de ses violons donne à la musique ses sombres couleurs. Les soli instrumentaux ont beaucoup d'expression ; Glass les confie surtout aux flûtes, trombones et trompettes. A cela s'ajoute un usage discret du synthétiseur électronique. L' « Hymne à Aton » chanté par Akhenaton, son duo avec Néfertiti, et le trio final avec la Reine Tye sont des moments de pur lyrisme, pas si éloignés finalement, pour cette raréfaction de la matière sonore, du belcanto bellinien ; d'ailleurs, l'air du Grand Prêtre d'Amon et des chœurs se souviennent peut-être de Norma...

L'ensemble de cette production signée par Nigel Lowery - avec le concours d'Amir Hosseinpour pour les chorégraphies et de Walter Van Beirendonck pour les costumes – vise à l'éblouissement visuel et y parvient, mais le rajout de personnages dont on ne comprend ni le sens ni la pertinence (et qui réapparaissent tout au long de la soirée) - un rat, un nain, une femme ivre qui se fait égorgée etc. - phagocyte inutilement l'attention. Aucunes réserves, en revanche, pour la distribution réunie à Anvers, dominée par le contre-ténor britannique Tim Mead, qui s'impose dans le rôle-titre avec sa voix expressive et aisée, puissante et riche de couleurs. Convaincantes également ses partenaires féminines, la mezzo estonienne Kai Rüütel (Néfertiti), déjà remarquée in loco dans Lady Macbeth de Mzensk la saison passée, et la soprano japonaise Mari Moriya (Reine Tye) qui, au charme physique requis par leur rôle, ajoutent celui d'une chaude présence vocale. Les comprimari se montrent également à la hauteur de leur tâche respective, avec une mention pour l'Horemhab de luxe du baryton américain Andrew Schroeder.

Quant au chef suisse Titus Engel et à l'Orchestre Symphonique de l'Opéra de Flandre, ils s'engagent avec beaucoup de détermination dans cette formidable partition, chaque rythme étant ici rendu avec la plus grande précision. On applaudit à leur endurance car jouer un ouvrage lyrique de Philip Glass est autrement ingrat et difficile qu'interpréter un opéra de Vivaldi !

Emmanuel Andrieu

Akhnaten de Philip Glass à l'Opéra de Flandre, jusqu'au 10 mars 2015

Crédit photographique © Annemie Augustijns

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