En février, deux productions d'Alcina de G. F. Haendel étaient très attendues sur le vieux continent, celle de Monte-Carlo qui - malgré la défection de dernière minute de Sonya Yoncheva - a rencontré un formidable succès -, et celle, genevoise, qui a remporté un triomphe similaire. Une des raisons principales de cette forte attente – outre un plateau vocal très alléchant – se trouvait dans le fait que la mise en scène était confiée à un des surdoués de la scène lyrique actuelle, David Bösch, signataires de productions très réussies, à l'instar de l'Elektra anversoise en 2014 ou des Stigmatisés lyonnais l'an passé.
N'hésitant pas à couper de larges pans du livret et de la partition (et à supprimer le personnage d'Oberto), le metteur en scène allemand recentre l'œuvre autour du rôle-titre tenu par l'étonnante et androgyne Nicole Cabell. La fable classique sert de prétexte à la peinture morale d'une héroïne victime des conséquences d'une séduction ravageuse due à ses talents de magicienne. Plus dure sera la chute : Ruggiero et Bradamante se joindront aux autres protagonistes pour se venger d'elle cruellement à la fin de l'aventure. L'action s'interrompt brutalement au moment du « Mi restano le lagrime », laissant le haendélien fervent sur sa faim et sans chœur final, manière sans doute de souligner très romantiquement que le drame qui se joue pour la magicienne Alcina l'emporte sur la nécessaire moralité du happy end…
Fermé pour des travaux de rénovation, le Grand-Théâtre laisse la place à l'Opéra des Nations, qui est en fait l'ex-Théâtre éphémère de la Comédie Française, une belle structure en bois qui se révèle d'une acoustique à la fois feutrée et amortie, assez peu commode cependant pour des voix sans cesse exposées sous leur moindres coutures. La distribution est dominée par les fulgurances virtuosissimes du Bradamante de Kristina Hammarström. La mezzo suédoise brûle les planches dans le redoutable « Vorrei vendicarmi », tandis que l'infidèle Ruggiero trouve en Monica Bacelli une interprète idéale, malgré quelques imperfections dans le très véloce « Sta nell’ircana », largement compensées par un « Verdi prati » de fort belle facture, empli d'émotion. Dans le rôle-titre, la soprano américaine Nicole Cabell joue magnifiquement des originalités d'un timbre à la fois sombre et dense, pour incarner une magicienne de haute tenue. Son Alcina se révèle en outre grande tragédienne, un geste de la main ou une inclinaison de la tête suffisant pour donner corps à une émotion. Moins à son aise - tant dans la maîtrise de son italien que dans un registre aigu très étriqué -, la Morgana de l'australienne Siobhan Stagg n'a pas la stature de son personnage ; c'est d'autant plus dommage qu'Anicio Zorzi Giustiniani déroule en Oronte les charmes suaves d'une ligne vocale très affirmée. Enfin, le baryton américain Michael Adams (Melisso) tutoie les sommets dans un « Pensa a chi geme » à tomber à la renverse.
La direction du chef argentin Leonardo Garcia Alarcòn - vif-argent et sans temps morts - donne une mobilité inouïe au discours musical de l'opera seria du Caro sassone. Les musiciens de l'Orchestre de la Suisse Romande trouvent leurs marques dans une partition foisonnante, bien secondés par certains vents et un continuo assuré par les membres de la Capella Mediterranea.
L'Opéra des Nations ne pouvait être inauguré sous de meilleurs auspices...
Alcina de Georg Friedrich Haendel à l'Opéra des Nations (Genève) – février 2016
Crédit photographique © GTG / Magali Dougados
03 mars 2016 | Imprimer
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