Iolanta, joli conte de fées psychanalytique en un acte créé au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg (où nous avions vu une production scénique de l’œuvre il y a deux ans) en 1892, le même soir que le ballet Casse-Noisette, est un peu l’ouvrage de Piotr Ilitch Tchaïkovski trop condensé et atypique que l’on ne sait pas trop où classer, et qui, de fait, est (trop) rarement joué. Son couplage avec Aleko, opéra de jeunesse de Sergueï Rachmaninov, créé à peine six mois plus tard au Théâtre Bolshoï de Moscou, juxtapose deux œuvres complémentaires (l’une est lumineuse et sage, tandis que l’autre est lugubre et agitée), qui ont en commun une efficacité dramatique plutôt faible, un défi que l’Opéra de Rennes a contourné en proposant les deux ouvrages en version de concert (mais sans que les artistes soient statiques, ces derniers circulant librement sur scène, plutôt qu'en rang d’oignons devant leurs pupitres...).La production est en fait le fruit d’une triple collaboration, celle du Théâtre Bolshoï de Minsk (en Biélorussie), d’Angers-Nantes Opéra et de l’Opéra de Rennes : le premier a fourni toutes les voix solistes, le second son chœur (renforcé par le Chœur de chambre Mélismes) et le dernier son orchestre.
Le premier ouvrage met en scène, dans le monde des tziganes, un mari jaloux qui surprend sa femme dans les bras de son amant, avant de les tuer l’un et l’autre, ce qui n’est pas sans rappeler le célèbre Pagliacci (qui lui est cependant postérieur…). Issu, comme tous ses collègues ce soir, de la troupe du Bolshoï de Minsk, le baryton Vladimir Gromov réalise une performance superbe d’intensité, dans la souffrance et le désespoir (notamment dans la cavatine d’Aleko, chère à Chaliapine…), comme dans la violence, d’une voix richement timbrée et bien projetée. En Zemfira, Anastasia Moskvina offre un calibre vocal conséquent, avec un aigu sûr et vaillant, tandis que le Jeune Tzigane d'Aleksandre Gelakh fait également preuve d’une vigueur vocale impressionnante. Mentionnons encore le Vieux Tzigane de Vladimir Petrov, juste de paternalisme, à la voix abyssale, ou encore la Vieille Tzigane de Natalia Akinina, aux interventions caractérisées, avec une riche voix de mezzo.
Iolanta raconte l’histoire d’une jeune princesse aveugle de naissance, dans la Provence du XVème siècle, à laquelle seul un choc amoureux pourra rendre la vue : le beau Comte de Vaudémont y pourvoira… Dans le rôle-titre, Iryna Kuchynskaya, malgré un timbre sans réelle séduction, met une urgence et une conviction telles, qu’on lui pardonne également la pression subie par l’instrument dans les passages tendus. Voix de ténor typiquement slave, Victor Mendelev peut compter sur un excellent bagage technique et un vrai contrôle du souffle (doublé d’un volume sonore conséquent) pour camper un enthousiasmant Vaudémont. Tout le reste de la distribution - dont certains étaient déjà présents dans le premier ouvrage - est en fait assez luxueux : le Médecin maure est ainsi campé par Vladimir Gromov, tandis que Vladimir Petrov prête, à Bertrand cette fois, ses graves impressionnants, Natalia Alkina sa voix sonore à Martha et Aleksandre Gelakh son timbre clair et claironnant à Alméric. Parmi les nouveaux venus, on distingue tout particulièrement le Roi René d’Andreï Valentii, qui possède tous les attributs d’une fort belle basse d’école russe. Avec un registre grave profond et sonore, et un aigu tout aussi conquérant, il parvient à insuffler toute la ferveur requise à la superbe Prière « Seigneur, si je suis pêcheur ». Quant au Robert d’Ilya Silchukou, il ne démérite ni en prestance scénique, ni en qualité vocale, mais manque toutefois de l’absolue aisance dans l’aigu pour rendre pleinement justice à l’air « Qui peut rivaliser avec ma Mathilde ? ».
Enfin, l’Orchestre Symphonique de Bretagne, ici surélevé au-dessus de la scène, remplit son contrat à la perfection, sous la baguette experte du chef biélorusse Andrey Galanov, qui parvient à souligner aussi bien le lyrisme délicat du conte de fées de Tchaïkovski que l’urgence passionnelle du drame de Rachmaninov.
Une superbe soirée de musique russe dont les nantais et les angevins pourront à leur tour profiter d’ici quelques jours... et également un spectacle de bon augure - quand bien même du fait d'Alain Surrans - pour le jeune et fringant nouveau directeur de l'Opéra de Rennes, Matthieu Rietzler, puisqu'il s'agissait là du premier sous son mandat !
Aleko de Sergueï Rachmaninov et Iolanta de Piotr Ilitch Tchaïkovski à l’Opéra de Rennes, les 27&28 septembre 2018 (puis les 30 septembre, 2&3 octobre à Nantes, et les 6&7 octobre à Angers)
Crédit photographique © Laurent Guizard
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