Excellente idée qu'a eu l'Opéra National de Lorraine de réunir dans un même spectacle les deux principaux ouvrages lyriques de Sergueï Rachmaninov : Aleko (1893) et Francesca da Rimini (1906). Si le premier opus est somme toute d'un intérêt musical plutôt mineur (il s'agit d'une œuvre écrite au Conservatoire de Saint-Pétersbourg par un Rachmaninov âgé de seulement 19 ans), la seconde partition fait entendre une musique particulièrement chatoyante et raffinée.
Signataire d'une production devenue légendaire – l'Artaserse de Leonardo Vinci – le metteur en scène roumain Silviu Purcarete imagine des éléments communs de scénographie à ces deux histoires très similaires, qui mettent en scène un mari jaloux qui surprend sa femme dans les bras de son amant et les tue (on pense également à Paillasse). Une grande structure métallique aérée sert à la fois de campement aux gitans dans Aleko et de géhenne dans le premier cercle des enfers d'où est tirée l'histoire de Francesca da Rimini. La vieille tzigane grimée en sorte de mort-vivant - qui apparaît à la toute fin d'Aleko - se démultiplie dans Francesca comme autant de figures spectrales qui peuplent les Enfers. Idée saugrenue et « lourdingue », en revanche, de faire réapparaître - comme ultime image dans Francesca – la deux CV orange qui abrite les ébats des deux amants dans Aleko ...
La distribution réunie à Nancy – que des russophones hormis un chanteur hongrois – s'avère plutôt homogène, même si l'on en détachera la basse large, dense et envoûtante d'Alexander Vinogradov (Aleko & Lanceotto Malatesta) – déjà (très) positivement remarqué l'an passé à Monte-Carlo dans La Forza del Destino et in loco dans Nabucco. Dans le double rôle de Zamfira et Francesca, Gelena Gaskarova délivre une prestation très sûre, même si quelques aspérités dans l'aigu se font entendre dans le second ouvrage. Si nous avons particulièrement apprécié la voix du ténor dans Aleko – un Suren Maksutov au timbre très séduisant et à l'aigu vaillant -, l'on sera plus mitigé sur celle d'Evgeny Liberman (Paolo Malatesta) dans Francesca, qui émet un chant tout en force et bien avare de couleurs comme de nuances. Enfin, les graves capiteux de Svetlana Lifar (Une Vieille tzigane), le baryton sonore d'Igor Gniidi (Virgile), et le chant plein d'humanité du hongrois Miklos Sebestyen (Un Vieux tzigane) retiennent favorablement l'attention.
A la tête de l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy dont il est le premier chef invité, le chef israélien Rani Calderon offre une lecture solide - pleine de chaleur et de lyrisme - des deux partitions de Rachmaninov. Les membres du Chœur de l'Opéra National de Lorraine méritent également une mention, à la fois pour leur engagement scénique et pour la précision rythmique de leurs cris, s'étageant en de curieuses constructions pour donner corps aux plaintes des âmes damnées dans le Prologue de Francesca.
Signalons au lecteur que La Monnaie de Bruxelles reprendra en juin ces deux titres – en leur adjoignant le troisième opus lyrique de Rachmaninov, Le Chevalier ladre – dans une production différente.
Aleko & Francesca da Rimini à l'Opéra National de Lorraine
Crédit photographique © Opéra National de Lorraine
15 février 2015 | Imprimer
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