Pour sa quatorzième édition, le Gstaad New Year Music Festival - toujours placé sous la férule de l’infatigable et passionnée Princesse Caroline Murat - n’a pas seulement invité des stars confirmés du chant lyrique (comme deux jours plus tôt, la sublime Lisette Oropesa, ou encore Marcelo Alvarez en 2017), mais se montre également découvreur de jeunes talents. Présenté par la soprano albanaise Inva Mula avec laquelle il interprètera deux duos (Le Nozze di Figaro et Don Pasquale), la basse grecque Alexandros Stavrakakis (31 ans), Lauréat du dernier (et prestigieux) Concours Tchaïkovski, pourrait bien devenir un concurrent de poids face au géant du moment qu’est Ildar Abdrazakov, car en bien des points, il fait immanquablement penser à son illustre collègue russe, tant par la puissance et la profondeur de la voix, que par l’incroyable magnétisme scénique qu’il possède déjà.
Très varié, le programme retenu permet aux auditeurs de constater qu’il se débrouille aussi bien dans la langue de Dante et de Molière, que dans celle de Goethe et de Pouchkine. L’italien fait la part belle au belcanto, avec des arias telles que celles du Comte Rodolfo dans La Sonnambula (qu’il interprétera cette saison à la Deutsche Oper Berlin) ou le célébrissime Air de la calomnie extrait du Barbier de Séville (qu’il a chanté la saison dernière au mythique Théâtre Bolchoï de Moscou). Mais son premier air solo est le fameux « La ci darem la mano » extrait de Don Giovanni de Mozart, et le moins que l’on puisse dire est que la soirée débute sous les meilleures auspices tant les affinités avec l’univers du Génie de Salzbourg paraissent évidentes : il offre à l’air franchise d’émission, énergie dans l’accent, soin de la diction, et un constant respect du style. Avec les deux autres airs italiens, il frappe encore plus fort, à l’image de sa voix, saine, généreuse, puissante et admirablement timbrée. Dans les airs français, notamment avec l'air de Méphisto « Vous qui faites l’endormie » (Faust de Gounod), il peut exhiber toute l’étendue d’une voix aussi sonore (et incroyablement sarcastique !) dans le grave que dans l’aigu, qualités qu’il peut ensuite réaffirmer dans le répertoire russe, où il subjugue littéralement le public. Que ce soit avec l’air de Grémine (Eugène Onéguine) ou l’air « Ne poy krasavitsa » de Rachmaninov, Alexandros Stavrakakis émeut et impressionne par une intériorité et une ferveur peu communes. Ce sens poétique si évocateur est porté par la beauté sensuelle du timbre, mais aussi par l’incroyable ampleur de la ligne…
Quels que soient la langue ou le répertoire (il délivre aussi deux Lieder, un de Schubert et un autre de Schumann, de toute aussi magistrale façon…), il n’y a ici jamais la moindre trace de monotonie (on le doit aussi au formidable pianiste Dimiris Vezyroglou qui l’accompagne…) mais, à l’inverse, une remarquable intelligence des textes et des styles. Bref, une grande et belle voix, subtile et flexible, qui nous a offert, notamment dans le répertoire russe, des moments d’exception… À suivre avec grand intérêt, donc, et c’est ainsi avec beaucoup d’excitation que nous le retrouverons, dès la fin du mois, dans Le Démon de Rubinstein au Grand-Théâtre de Bordeaux… Vivement maintenant de le voir évoluer sur scène !
Alexandros Stavrakakis en récital au Gstaad New Year Music Festival, le 4 janvier 2019
Crédit photographique © Emmanuel Andrieu
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