Alfonso Antoniozzi signe une Aïda en 3D au Teatro Carlo Felice de Gênes

Xl_76_aida © Marcello Orselli

C’est en retard sur le calendrier des autres maisons européennes que le Teatro Carlo Felice de Gênes a ouvert sa saison, avec une nouvelle production de Aïda confiée aux soins du baryton italien Alfonso Antoniozzi, que nous avons beaucoup entendu, ici ou là, dans les années 90, mais désormais (apparemment) reconverti dans la mise en scène d’opéra… La principale qualité de son spectacle tient dans sa simplicité et son pouvoir de suggestion. Aucun accessoire de décor ici, mais une utilisation massive d’images vidéographiques, dont certaines en 3D, toutes signées par Monica Manganelli, et toutes aussi magnifiques les unes que les autres. La vidéaste italienne a savamment mélangé à une iconographie typiquement égyptienne (sphinx, temples, statues et colonnades grandioses…) des éléments cosmogoniques (planètes, galaxies, aurores boréales…), qui s'avèrent du plus bel effet. De leurs côtés, les costumes conçus par Anna Biagiotti suivent parfaitement le même chemin, alternant habits traditionnels (à l’antique) et costumes que l’on croirait sortis d’un épisode de Star Wars ! Une vision très particulière (et inédite) de Aïda que le public génois a chaleureusement plébiscitée au moment des saluts.

Dans le personnage d’Aïda, la soprano bulgare Svetla Vassileva fait ses débuts dans une partie où elle peut déployer ses talents d’actrice. Mais après tant de rôles lourds à son actif, les pianissimi du fameux « air du Nil » sont désormais hors d’atteinte, quand le phrasé manque de précision et que la plupart des aigus s’apparentent plus à des cris stridents qu’à des notes filées... Bref, le rôle arrive trop tard dans sa carrière. Mais sa prestation est toujours moins déshonorante que celle de son confrère Marco Berti qui, non content de « beugler » son rôle du début jusqu’à la fin, est également affligé de réels problèmes d’intonation, l’acteur se montrant par ailleurs bien piètre. Le ténor italien possède certes la voix la plus puissante parmi les chanteurs d’aujourd’hui, mais c’est bien la seule qualité (qui n’en est pas forcément une ici, Radamès étant d’abord un personnage amoureux avant d’être un vaillant guerrier…) dont Berti peut se targuer. Las, Sergio Bologna n’enthousiasme pas plus en Amonasro, la voix manquant singulièrement de puissance, de mordant, et à laquelle fait défaut l’indispensable phrasé verdien. Par bonheur, la simple présence de Judit Kutasi rachète les carences de ses trois collègues, tant cette jeune chanteuse fait office de véritable révélation pour nous. Dotée d’une voix immense, comme les Pays de l’Est en regorgent, la mezzo roumaine ne rencontre cependant aucune difficulté à attaquer piano dans l’aigu (« Ah vieni, amor mio »). Elle offre une inoubliable « scène du jugement » dans laquelle elle distille des inflexions et des couleurs évoquant Fiorenza Cossotto… ce qui n’est pas un maigre compliment ! Nous languissons de la retrouver au Grand-Théâtre de Genève, en juin prochain, dans Un ballo in maschera (rôle d'Ulrica). Enfin, le Ramfis de Fabrizio Beggi s’avère efficace, face au Roi plutôt sobre et nuancé de la basse coréenne Seung Pil Choï.

Mais la principale satisfaction de la soirée proviendra de la somptueuse lecture du directeur musical de la maison, le jeune chef italien Andrea Battistoni (dont nous avions eu des échos flatteurs, à défaut de l’avoir entendu en live jusqu’à présent…). Sous sa baguette, les forces vives du Teatro Carlo Felice se montrent superlatives de bout en bout, transcendées par un chef dont les affinités avec Giuseppe Verdi apparaissent comme plus qu’évidentes. Dès les premières mesures du Prélude, la tension s’installe pour ne jamais se relâcher. Aussi à l’aise dans les tableaux intimes que dans les défilés grandioses, Battistoni démontre un sens infaillible de l’architecture d’ensemble et, en même temps, de la mise en valeur des détails instrumentaux (le dialogue des vents pendant le duo entre Aïda et Amnéris, « Pietà ti prenda »... !). Plus d’une fois, on a l’impression qu’il va se laisser emporter par la fougue de sa jeunesse, mais non : la musique avance, excitante, exaltante, mais sans jamais échapper à son contrôle… Du grand art !

Emmanuel Andrieu

Aïda de Giuseppe Verdi au Teatro Carlo Felice de Gênes (décembre 2018)

Crédit photographique © Marcello Orselli

 

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