L’Opéra national du Rhin crée l’événement avec la recréation mondiale de Barkouf ou un chien au pouvoir, un opéra-comique de Jacques Offenbach qui n’avait pas été repris depuis sa création à l’Opéra-Comique en décembre 1860. L’ouvrage fut un échec, victime de la censure, puisque le livret d’Eugène Scribe est sciemment une diatribe contre la tyrannie et visait donc directement le Second Empire instauré par Napoléon III. Bien que déplacé dans la lointaine Lahore et « enrubanné » d’amours contrariées, le fonds de l’œuvre est bien l’histoire d’un peuple qui se révolte contre le despotisme, faisant ainsi un étonnant écho à notre propre temps et au mouvement des « Gilets jaunes » : « Ton peuple impuissant, éperdu / Se plaint, se plaint que les impôts / L’accablent de misère / Il expire ! » s’exprime le peuple de Lahore tandis que Xailoum, l’agitateur de service, profère « « J’aime le tapage / le remue-ménage / les bris de vitrage/ce qui me fait de l’ouvrage / j’ai la rage enfin de démolir » !
Régulièrement invitée à l’Opéra national du Rhin, on se souvient ici-même de sa Platée ou de sa Calisto, Mariame Clément offre une proposition autrement lisible que ses dernières productions (cf. une impossible Armida à Gand). Accompagnée des fidèles Jean-Luc Vincent (pour la réécriture des dialogues parlés) et de Julia Hansen (pour les décors et les costumes), Mariame Clément transpose l’intrigue dans une Lahore ayant de vagues relents de Corée du Nord, mais faisant aussi référence à notre patrie, comme avec la scène où les conjurés arborent tous un masque des principaux personnages politiques du pays (Macron, Philippe, Le Pen, Mélenchon, etc.). L’humour est ainsi le socle de son travail, et de nombreuses scènes suscitent en effet l’hilarité de l’audience : la niche du chien Barkouf qui trône au milieu d’imposantes étagères de dossiers montant jusqu’aux cintres triple de volumes entre les deuxième et troisième actes, arborant au passage fièrement la devise : « Liberté, Egalité, Croquettes » ! Mentionnons encore cette autre scène où tous les personnages prennent la pose du fameux tableau de Delacroix, « La liberté guidant le peuple ».
Essentiellement francophone, la distribution réunie à Strasbourg par Eva Kleinitz emporte tous les suffrages. Toujours aussi inénarrable comédien, Rodolphe Briand campe un Babadeck parfaitement veule, haut en couleurs et hilarant. En Grand Mogol assoiffé de sang et de carnage, Nicolas Cavallier donne froid dans le dos, d’autant que l’autorité et l’ampleur de la voix font forte impression. Autre personnage comique, l’excellent Loïc Félix (Kaliboul) projette toujours aussi bien son ténor avec une voix dont on admire également l’admirable diction. Ténor rossinien courtisé par le festival de Bad Wilbad chaque été, le congolais Patrick Kabongo (Saëb) possède une voix typique de tenorino, haut perchée et suave à la fois, qui devrait faire merveille pour les personnages d’Almaviva ou de Lindoro, rôles dans lesquels on aimerait l’entendre maintenant. Quant au ténor allemand Stefan Sbonnik, en Xaïloum, il ne flatte pas moins l’oreille avec son timbre fruité et son abattage vocal. Du côté des dames, Pauline Texier (Maïma) affronte crânement les écarts de tessiture et les nombreux suraigus dont est truffée sa partie, même si certains la poussent dans ses derniers retranchements. Aucune réserve, en revanche, quant à la prestation de la mezzo-soprano irlandaise Fleur Barron (Balkis) : voix de velours, diction parfaite, présence scénique indéniable. Enfin, la jeune Anaïs Yvoz (Périzade), membre de l’Opéra Studio de l’OnR, ravit par sa voix fraîche et fruitée, et sa silhouette gracile tranche avec la femme « laide » décrite par le livret.
En fosse, le chef québécois Jacques Lacombe (nouveau directeur de l'Orchestre Symphonique de Mulhouse qu'il dirige ici) aurait peut-être pu montrer plus de vigilance quant à la clarté des différents pupitres, mais il maintient en revanche l’équilibre avec le plateau... gage d’une soirée résolument théâtrale et joyeuse !
Barkouf ou un chien au pouvoir à l’Opéra national du Rhin, jusqu’au 8 janvier 2019
Crédit photographique © Klara Beck
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