En parallèle de la mise à l’affiche d’Ariodante (en version de concert, nous y avons assisté…), l’Opéra National de Bordeaux a frappé un grand coup en invitant le ténor qui monte, le jeune Benjamin Bernheim, aux côtés de la soprano guatémaltèque Adriana Gonzalez, dont la carrière prend un bel essor également... Le premier n’en est pas à son coup d’essai à Bordeaux, puisque notre collègue Thibaut Vicq avait déjà eu l'opportunité de l’entendre en récital dans la capitale girondine, c’était l’an passé, et que nous l’avons, quant à nous, entendu in loco au printemps dernier - dans Manon de Massenet - aux côtés de Nadine Sierra. Sur tous les fronts, il vient de sortir son premier album discographique chez le prestigieux label allemand Deutsche Grammophon, dont notre collègue Alain Duault vient justement de rendre compte dans ces colonnes. La deuxième, une ancienne résidente de l’Académie de l’Opéra de Paris (de 2015 à 2017), a remporté cette année le plus prestigieux des concours de chant, le Concours Operalia, ce qui ne nous a pas étonné après son spectaculaire triomphe dans Turandot (où elle interprétait le personnage de Liu), en début d’année à l’Opéra de Toulon.
La soirée débute avec l’incontournable Ouverture de La Forza del destino, que le jeune chef ukrainien Oleksandr Yankevych (un troisième nom à retenir !) délivre avec un souffle peu commun, à la tête d’un Orchestre National Bordeaux Aquitaine dont la grande qualité d’exécution ne se démentira pas tout au long de la soirée. Puis arrive le fringant trentenaire, au sourire craquant, et avant qu’il n’ouvre la bouche, une partie de l’auditoire est déjà visiblement conquis. L’air d’Edgardo « Tombe degl’avi miei », extrait de Lucia di Lammermoor, permet de goûter la beauté du timbre, ainsi que la ligne de chant souveraine de l’artiste, mais ce qui frappe surtout ici, c’est cette authenticité et cette singularité dans l’expression qui font d’emblée de lui un des tous premiers artistes lyriques de notre temps. Son exécution de l’air de Roméo « Ah, lève-toi soleil » confirme cette impression : on reste confondu devant l’urgence et la chaleur qu’il y met ; de même que le contre-Ut irrésistible et interminable dont il couronne l’air nous a tout simplement scotchés au fond de notre fauteuil ! Le fameux air « Kuda, Kuda » tiré d’Eugène Onéguine semble être son air fétiche puisqu’il le délivre presque systématiquement dans ses concerts (il est bien évidemment dans le disque aussi). Au-delà de l’incroyable émotion qu’il y met, on en admire l’implacable contrôle : le chant y affirme son intelligence et son élégance. Enfin, le « Nature immense » tiré de La Damnation de Faust électrise par son pouvoir d’incantation, ainsi que par la suavité des accents et la capacité du ténor à passer de la douceur à l'éclat avec une déconcertante facilité.
De son côté, Adriana Gonzalez fait également montre de son grand art, et elle réussit haut la main le pari de chanter l’air de Micaëla, « Je dis que rien ne m’épouvante », dans un français impeccable, mais surtout avec une voix d’une chaleur et d’un rayonnement qui n’a pas beaucoup d’égale aujourd’hui. Elle confirme sa parfaite adéquation stylistique avec le répertoire français au travers d’un air des bijoux (Faust) d’une sensualité et d’une brillance qui tire une salve d’applaudissements de la part du public. Trois duos réunissent ces chanteurs d’exception, « Una parola… » tiré de L’Elisir d’amore, « Va, je t’ai pardonné » extrait de Roméo et Juliette, et le fameux « Libiamo, libiamo » de La Traviata. Leurs timbres s’y marient à merveille, et l’investissement dramatique dont ils font preuve, surtout dans le deuxième air, nous donne envie de les entendre à nouveau réunis dans une réalisation scénique : un nouveau « Traumpaar » (couple de rêve) est peut-être né ce soir !...
Crédit photographique © Emmanuel Andrieu
04 décembre 2019 | Imprimer
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