Avec sa nouvelle mise en scène d’une opérette à l’Opéra Nice Côte d’Azur, après La Veuve joyeuse l’hiver dernier, le metteur en scène français Benoît Bénichou rend hommage à l’univers foutraque de Jacques Offenbach, en offrant un Orphée aux enfers à la fois totalement déjanté et particulièrement ambitieux.
Comme dans son premier essai niçois, il ne rogne rien de son irrespectueuse inventivité et imagine ici un spectacle d’une verve étourdissante. Pour cela, il a élaboré une version hybride de l’ouvrage, en mélangeant les éditions de 1858 (« Opéra-Bouffe » en deux actes) et de 1874 (« Opéra-Féerie » en quatre actes). Tous les dialogues ont été réécrits, et l’histoire est détournée pour faire place à une querelle entre « anciens » et « modernes ». Jupiter et Pluton sont ici des metteurs en scène, le premier se voulant le gardien de la tradition (à grand renfort de frous-frous, de perruques élaborées et de panneaux de carton-pâte, dans un esprit très 18e) tandis que le second ne jure que par la modernité, les relectures politiques et le trash (Eurydice grimée en blanche-neige se fait « monter dessus » par un cochon rose). Un vrai spectacle « participatif » puisque les chanteurs-acteurs, partisans de l’un ou de l’autre, se baladent dans le théâtre avant le début du spectacle, investissent le parterre et les loges, ou lancent des tracts depuis les hauteurs qui tombent sur le public en contrebas : « Collectif art neuf : Pour un art neuf, stop au diktat intellectuel, libérons-nous de la pensée globale, brisons le moule de la pensée classique, pour des créations modernes qui résonnent dans notre monde », arborant comme logo un poing brandissant une croche ! Pendant l’entracte, dans le foyer, la « guerre » continue et les danseurs en habits 18e qui exécutent un menuet sont vite bousculés et éjectés par des danseurs « contemporains » qui se déhanchent, eux, sur une musique techno ! À défaut de fidélité à la lettre d’Orphée aux enfers, la mise en scène en respecte l’esprit irrévérencieux et burlesque, et l’irrésistible verve théâtrale d’un Offenbach dont on ne doute pas qu’il l’aurait applaudie à deux mains.
Les artistes semblent adhérer au propos, même s’il exige beaucoup d’eux (d’autant que le spectacle est donné trois jours d’affilée !), et s’en donnent à cœur-joie. Dans le rôle d’Eurydice, la jeune Perrine Madoeuf se montre brillante, notamment dans les airs à vocalises, avec l’atout d’un phrasé idéalement adapté aux délicieuses mélodies dont son rôle est pourvu. Et l’actrice est épatante, qui se plie sans réserve à toutes les facéties et acrobaties que le metteur en scène lui impose. Si le personnage d’Orphée est moins bien servi par Offenbach, avec comme seul morceau d’importance le duo « du concerto », Pierre-Antoine Chaumien ne l’impose pas moins, vocalement parlant, car pour le reste, il reste le plus long de la soirée attaché au conduit d’un WC, obligé de patienter sur ce trône un peu spécial ! Également écrit pour un ténor, Aristée/Pluton trouve en Jérémy Duffau un acteur irrésistible, tandis que son arrogante projection vocale n’exclut pas une belle virtuosité. De son côté, Philippe Ermelier campe un Jupiter inénarrable, au bagout désopilant, qui n’a pas peur non plus de payer de sa personne, et dont la scène « du bourdonnement » n’a pas manqué d’actionner les zygomatiques du public niçois. Impayable également, l’Opinion publique d’Héloïse Mas, grimée en vieille mégère aigrie et rabougrie, à l’air méchant, mais qui se transforme en judoka émérite quand il s’agit de manifester physiquement son ressentiment ! La voix n’est pas en reste, aussi somptueuse dans le grave que dans un registre aigu brillamment dardé. Se distinguent, enfin, la Diane de choc de Virginie Maraskin, tout comme le charmant Cupidon de Jennifer Courcier, la Junon irascible de Sofia Naït, ou encore l’impayable John Styx de Frédéric Diquero.
En fosse, le jeune et brillant chef français Léo Warynski va dans le sens de la mise en scène et propose une lecture vive et alerte de la partition du compositeur colonais, notamment dans un galop infernal d’une flamme toute sauvage, dans lequel l’Orchestre Philharmonique de Nice démontre toute sa cohésion et dextérité.
Le public ne boude pas son plaisir à l’égard de ce spectacle original et de qualité, qui s’avère comme une fête… avant les Fêtes !
Orphée aux enfers de Jacques Offenbach à l’Opéra Nice Côte d’Azur (les 2, 3 et 4 décembre 2022)
Crédit photographique © Dominique Jaussein
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