Cecilia Bartoli revient à Vivaldi au Menuhin Festival de Gstaad

Xl_raphael.fauxrfx_6317 © Raphaël Faux

Le phénomène Cecilia Bartoli a encore frappé de délicieuse stupeur la petite église de Saanen, où la célébrissime mezzo est venue se produire plusieurs fois dans le cadre du Menuhin Festival de Gstaad, comme il y a quatre ans pour interpréter alors son album Saint Pétersbourg, dédié aux compositeurs ayant travaillé pour la Cour de la Russie impériale du 18ème siècle. Mais c’est à ses premières amours que la diva italienne revient cette fois, vingt ans tout juste après le formidable succès de son Vivaldi album qui avait propulsé sa carrière et l’avait surtout fait connaître auprès du grand public.

Le Prêtre roux et son inépuisable corpus lyrique ont inspiré de nouveaux airs à la chanteuse, qu’elle a rassemblé dans un disque dont nous avions fait l’écho dans ces colonnes lors de sa parution à l’automne dernier. Vêtue d’une magnifique robe blanche et bleue, c’est par le fond de la nef qu’arrive la star, et les premières notes de l’air « Quell’augellin » (extrait de La Silvia) - qui mélange la voix de la chanteuse aux sifflements d’oiseaux du flûtiste Jean-Marc Goujon - forment ainsi d’abord un écho, jusqu’au moment où les deux artistes rejoignent, sur une petite scène surélevée, les Musiciens du Prince-Monaco, l’ensemble instrumental qu’elle a elle-même créé (avec Jean-Louis Grinda) il y a maintenant trois ans. Tous les morceaux musicaux de la soirée (vocaux ou instrumentaux) qui suivront seront habilement enchaînés par des improvisations instrumentales : aucune ovation ne viendra ainsi troubler la concentration des artistes avant la fin de la première partie, et ce que le public aura perdu en termes d’excitation adulatoire envers sa diva fétiche, il l’aura donc gagné en qualité d’écoute ! Comme de coutume dans ce type d’exercice, Bartoli alterne alors les airs lents de déploration et de tristesse aux arie vifs de colère ou de fureur. C’est donc avec l’air « Non ti lusinghi la crudeltade » (issu de Tito Manlio) qu’elle enchaîne, accompagnée cette fois du ductile hautbois de Diego Nadra, et qu’elle délivre avec toute la vélocité, les sauts d’octave et l’incroyable souffle qu’on lui connaît. Parmi les airs lents, on retrouve le bouleversant « Gelido in ogni vena » extrait de Farnace, paroxysme émotionnel autant qu’une magistrale leçon de souffle et de grâce, qu’elle livre ici dans un quasi murmure, comme susurré du bout des lèvres.  Le « Sol da te » tiré d'Orlando furioso, toujours accompagné de la flûte extasiée de Jean-Marc Goujon, nous vaut un autre moment de grâce et d’émotion pure, de même que le fameux « Zeffiretti che sussurrate » (Ercole sul Termondonte) qui fait également forte sensation, avec un nouveau recours à la spatialisation du son dans différents points de l’église. Avec le dernier air, « Se mai senti spirarti sul volto » tiré de Catone in Utica, la Bartoli confirme qu’après Montserrat Caballé, elle est bien devenue la reine des sons filés, comme de la pyrotechnie la plus vertigineuse, suspendant le temps avant d’en précipiter le cours… Notons qu’entre chaque passage chanté alternent, dans une alliance très naturelle, divers mouvements des incontournables Quatre Saisons qui, en fin de compte, auront été jouées dans leur intégralité. Et comment ne pas évoquer l’excellence de l’interprétation, de la part tant de l’orchestre que du chef-soliste, l’excellent violoniste franco-argentin Andrès Gabetta ? Bien que l’œuvre soit archi-connue, pour ne pas dire même rabâchée, on est véritablement transporté par la justesse du ton, les notes qui virevoltent, le jeu des nuances, les éclairages effectués sur tel ou tel instrumentiste, ou encore l’investissement total des Musiciens du Prince-Monaco, la dernière-née des grandes formations sur instruments d’époque !

Ayant épuisé ses trois bis, « Destero dall’empia » extrait d’Amadigi di Gaula, une autre aria vivaldienne, et la canzone « Non ti scordar di me » d’Ernesto Curtis, Cecilia Bartoli bisse un air d’Agostino Steffani qui est le prétexte d’une véritable joute entre la trompette de Thibaud Robinne et la Bartoli, à qui tiendra la note le plus longtemps, et on laisse le lecteur deviner qui remportera ce petit jeu qui met le public en transe. C’est bien évidemment debout qu’il lui témoigne son affection et sa reconnaissance, à l’instar de votre serviteur car, devant tant de joie sincère et de gratitude, comment ne pas rendre les armes ?

Emmanuel Andrieu

Cecilia Bartoli dans un récital Vivaldi au Menuhin Festival de Gstaad, le 23 août 2019

Crédit photographique © Raphaël Fau

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