Après une Carmen « thérapeutique » au festival d’Aix l’été dernier, et une Carmen « spatiale », plus récemment, à l’Opéra national de Montpellier, le Théâtre du Capitole offre une version du chef d’œuvre de Georges Bizet (avec ses dialogues parlés d’origine) tout ce qu’il y a de plus traditionnelle, au sens noble du mot, sous la houlette de l’homme de théâtre monégasque Jean-Louis Grinda. Avec son fidèle décorateur Rudy Sabounghi, Grinda a cependant joué avec raison les cartes du dépouillement, avec une scénographie composée uniquement de deux grandes structures mobiles incurvées qui se rejoignent pour former une prison, un cabaret, ou encore une arène... Pas de clinquant inutile ici, si ce n’est peut-être lors du défilé de la cuadrilla, mais les nuances subtiles de costumes aux tons passés (signés par Sabounghi et Françoise Raybaud Pace). En revanche, la violence du drame est appuyée avec plus de force que de coutume (la mort de Carmen est annoncée dans un flashback pendant l’ouverture), et les confrontations entre Don José et Escamillo d’une part, et celles avec Carmen d’autres part, sont souvent d’une violence inouïe. Par ailleurs, en focalisant l’attention des spectateurs sur les attitudes, les gestes, les contrastes, cette mise en scène très cinématographique dans son esprit (on relève des clins d’œil au fameux film de Francesco Rosi…) ne laisse ainsi rien perdre de l’intensité du drame. Il y a là aussi une formidable direction d’acteurs qui s’appuie sur quelques tempéraments d’exception. On oublie alors tant et tant de représentations de Carmen que l’on a vues par le passé, pour redécouvrir, comme à la première fois, cette histoire de passion et de mort, qui culmine dans une scène finale presque insoutenable dans sa dureté. Rarement l’essentiel aura été dit ainsi, sans la moindre périphrase.
A la tête d’un Orchestre du Théâtre du Capitole dans une forme olympique, le chef turinois Andrea Molino tient un discours qui s’apparente à la technique de l’eau forte. Le trait est ferme, allusif. Les contrastes sont soulignés avec la science la plus subtile. La poésie naît à tout instant de ce souci apporté à la moindre nuance, au moindre mot. Mais cela aurait-il pu être possible sans la présence en tête d’affiche d’un couple qui, de bout en bout, accompagne les visions du chef d’orchestre et du metteur en scène ?
On connaissait déjà le splendide Don José du ténor américain Charles Castronovo (également entendu dans le rôle-titre de Faust au festspielhaus de Baden-Baden) ; on le retrouve ici avec ses emportements et ses abandons, toujours aussi scrupuleux dans son approche musicale, malgré une voix qui a gagné en largeur et qui lui permet de prétendre à des rôles plus lourds et plus dramatiques encore. Il est un des rares titulaires du rôle aujourd’hui capable de donner de son personnage un portrait aussi complet, évoluant de scène en scène, d’un lyrisme particulièrement raffiné à une bouleversante grandeur tragique. On ne connaissait en revanche pas (encore) la flamboyante Carmen de la mezzo française Clémentine Margaine, intense Marguerite (La Damnation de Faust) au festival de Bucarest et non moins splendide Leonora (La Favorite) à Marseille l'an passé. Voilà bien, sans œillades assassines, une fille libre qui aime qui lui plaît et affronte crânement la mort. Mieux encore, la beauté de la voix répond à la flexibilité de l’allure, les couleurs sont chaudes, l’aigu impactant, et surtout l’intensité de l’expression ne sacrifie jamais aux effets racoleurs. Une grande Carmen assurément !
Après avoir laissé tomber le costume de Hunding dans La Walkyrie donnée in loco cet hiver, c’est en Escamillo que la basse russe Dimitry Ivashchenko revient sur la scène capitoline. Grand habitué des Osmin, Sarastro ou autres basses nobles, c’est en baryton qu’il s’essaie cette fois de nous impressionner, avec sa voix aussi profonde que sonore. Avec un bémol cette fois : la hauteur, sans parler d’un français peu compréhensible, et un souffle court quand il dépasse le Ré aigu (note accessible à toute basse qui se respecte !). Quant à la jeune soprano française Anais Constans, elle fait ici ses débuts en Micaëla, avec une voix délicieuse, résolument mise au service du chant français. Son air du III « Je dis que rien ne m’épouvante » s’avère de toute beauté, très sensible et plein de générosité. Le reste de la distribution est entièrement française, ce dont on se félicite, avec une Frasquita et une Mercédès (Charlotte Despaux et Marion Lebègue) très complices et de grande qualité vocale. Même constat pour le Dancaïre et le Remendado d’Olivier Grand et Luca Lombardo. Enfin, le Zuniga de Christian Tréguier, le Moralès d’Anas Séguin et le Lilas Pastia de Frank T’Hézan complètent admirablement l'affiche.
Une des plus éclatantes réussites du Théâtre du Capitole cette saison !
Carmen de Georges Bizet au Théâtre du Capitole, jusqu’au 19 avril 2018
Crédit photographique © Patrice Nin
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