Tous les deux ans, durant tout le mois de septembre (du 2 au 24 cette année), Bucarest vit en musique grâce au Festival George Enescu dont la réputation a largement dépassé les frontières de la Roumanie pour s’imposer comme l’un des plus importants d’Europe. Il propose en effet une impressionnante série de plus d’une centaine de concerts à spectre très large, en accueillant les plus grands orchestres et solistes du moment. Il a aussi pour vocation de mettre en avant l’œuvre du compositeur George Enescu (1881-1955) - véritable héros national qui a longtemps vécu en France -, la plupart des concerts proposant une pièce du musicien roumain. Si la musique de chambre et symphonique y sont reines, la musique vocale n’est pour autant pas oubliée, comme en témoigne cette version de concert de La Damnation de Faust de Hector Berlioz à laquelle nous avons pu assister.
Le premier atout de la soirée est indéniablement la présence du meilleur chef berliozien de notre temps (avec John Eliott Gardiner) pour diriger les quelques deux cents artistes réunis sur scène, l’américain John Nelson. Malgré l’immensité de la Salle du Palatului, le chef parvient à faire goûter au public les finesses, les hardiesses et la dynamique sans cesse mouvante de la géniale partition de Berlioz. Nerveux, animé, volubile, sans épaisseur, pourvu de quelques superbes pupitres (le hautbois, le cor anglais), Nelson sait exactement ce qu’il veut… et l’obtient de l’excellente phalange qu’est l’Orchestre Philharmonique George Enescu !
Le spectacle a par contre payé de malchance avec les retraits successifs de Jean-François Borras, puis celui (de dernière minute) de Francesco Demuro, et c’est finalement le ténor britannique Peter Hoare qui endosse les habits de Faust… sans complètement convaincre. S’il aborde le personnage avec une belle musicalité et une louable sincérité dans l’accent, il ne possède cependant pas le format vocal du rôle, et l’aplomb fait ici défaut, notamment dans la fameuse Invocation à la Nature où la voix finit par s’étrangler dans l’aigu. C’est un tout autre bonheur que distille la magnifique mezzo française Clémentine Margaine, éblouissante Carmen la saison dernière tant à l’Opéra national de Paris qu’à la Deutsche Oper de Berlin. Elle livre ainsi une Marguerite d’une incomparable intensité, tour à tour douce ou radieuse, qui donne un sens à chaque mot. Avec son incroyable présence, sa prononciation du français excellente, et son timbre charnu et captivant, on n’a pas de mal à se persuader qu’elle est une des Marguerite les plus plausibles du moment. De son côté, la basse française Nicolas Testé n’est pas en reste, et campe un Méphistophélès à la fois ludique et cynique, en usant d’une multitude d’inflexions vocales, qui témoigne surtout de ses excellents legato et élocution. Une mention enfin pour le Bander à la voix très sûre du jeune baryton roumain Serban Vasile, tandis que le Chœur George Enescu assure son rôle essentiel avec tous les honneurs.
La Damnation de Faust de Hector Berlioz au Festival Enescu de Bucarest, le 21 septembre 2017
Crédit photographique © Andreï Gindac
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