Après avoir fait le bonheur du public du Théâtre des Champs Elysées le mois dernier, c’est à l’Opéra-Comédie de Montpellier d’accueillir cette production de Giulio Cesare in Egitto de Haendel, dans une nouvelle mise en scène confiée à Damiano Michieletto et sous la direction de Philippe Jaroussky, en résidence pour trois ans avec son Ensemble Atarserse dans la maison languedocienne. L’incontestable réussite de cette dernière représentation tient sans conteste à la miraculeuse osmose dramatique et musicale entre fosse et plateau, entre des chanteurs à la fois habités par leurs personnages et à la hauteur des exigences techniques et stylistiques du Caro Sassone, et un ensemble instrumental d’une richesse sonore et d’une finesse superlative, sous la direction inspirée et vivante de Philippe Jaroussky. Tour à tour rutilante ou introspective, sensuelle ou agressive, son approche rend parfaitement justice à un compositeur dont le génie purement théâtral a été trop longtemps méconnu.
Côté théâtre, toutes les dernières productions que nous avons pu voir de l’ouvrage avait tendance à le prendre à rebours, sur un mode décalé, avec moult gags à l’appui (comme celles d’Irina Brook ou de Laurent Pelly, les deux à Paris) ; mais Damiano Michieletto prend lui le livret de manière très sérieuse, en insistant sur son côté sombre et dramatique. Ainsi trois parques sont omniprésentes, trois femmes nues se déplaçant au ralenti, l’une tenant un grand sablier tandis que les autres tissent et coupent les fils (rouge) du destin, fils dans lesquels le rôle-titre est empêtré pendant l’ouverture. Plus loin, Tolomeo offre à César un repas évidemment empoisonné, mais ce dernier le confond en tentant de lui faire avaler l’infame mixture qu’on lui a préparée (pendant le célèbre air « Va tacito »). Juste avant le premier entracte, le décor en forme de cube blanc s’ouvre en deux et laisse apparaître les conjurés, ici en toges et à l'air menaçant, qui déjà fomentent le futur assassinat impérial. La mort est également omniprésente à travers le personnage de Pompée, qui après avoir été décapité, n’a de cesse de hanter le plateau, comme un mort-vivant, avant de se transformer en statue de marbre à la fin du spectacle (photo).
Gaëlle Arquez se montre enthousiasmante dans le rôle-titre. Outre un portrait dramatiquement très crédible de son personnage, elle offre une vocalisation hors-pair (« Va tacito »), et une ligne de chant particulièrement séduisante, autant par la flamboyance du timbre que par le raffinement des inflexions. La soprano hongroise Emoke Barath (contre Sabine Devieilhe à Paris) incarne une Cleopatra blessée et fragile, d’une totale sincérité, aussi belle à voir qu’à entendre, avec des coloratures dépassant la simple virtuosité pour exprimer des sentiments vrais. Lucile Richardot bouleverse par l’éclat d’un timbre somptueux jusque dans l’expression de la colère et du mépris ; elle impressionne également par sa faculté à exprimer sur le fil de la voix la douleur qui l’étouffe, sans mettre en danger l’intensité de l’émotion.
Côté messieurs, le contre-ténor argentin Franco Fagioli captive la salle par l’étendue de son ambitus, un timbre reconnaissable entre tous, un souffle infini porté par une technique sans faille, et enfin par le délié de la vocalisation. L’étonnant contre-ténor italien Carlo Vistoli joue Tolomeo comme un adolescent vicieux et sadique, avec un registre aigu particulièrement sonore, qui traduit à la perfection la perversité rageuse de son personnage. N’oublions pas l’Achilla sournois, servile, et vocalement solide du baryton italien Francesco Salvadori, tandis que Paul Figuier est une intéressante découverte en Nireno, à l’émission flûtée joliment ourlée par l’instrument idoine.
Giulio Cesare de Georg Friedrich Haendel à l’Opéra-Comédie de Montpellier, le 11 juin 2022
Crédit photographique © Marc Ginot
12 juin 2022 | Imprimer
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